Concilier climat et nutrition en restauration scolaire : une équation complexe (Article d’analyse)

« Cantine x (Climat + Nutrition – Viande de ruminant) = ? » C’est à cette délicate équation que s’est frottée récemment une équipe INRAE. Autre façon de poser le problème : comment concilier nutrition et impact environnemental en restauration scolaire ? Résultat : la modélisation des chercheurs suggère de servir des repas végétariens 3 fois par semaine et des plats à base de poisson, de porc ou de volaille les 2 jours restants. Mais l’évaluation de l’impact environnemental utilisée est-elle correcte ? Cette solution est-elle acceptable par les enfants ? Ce résultat souligne bien des limites et pose bien d’autres questions qui appellent à le considérer avec toutes les nuances et la prudence qui s’imposent.

Des repas scolaires déjà très encadrés

Les repas scolaires sont encadrés par des règles spécifiques et obligatoires : (1) les repas doivent être structurés avec 4 ou 5 composantes, (2) ils doivent respecter 15 règles de fréquence de service (Cf. encadré), pour 15 types de plats sur 20 repas, (3) le service de viande rouge est préconisé pour au moins 4 repas sur 20. Par ailleurs, depuis le 1er novembre 2019, la loi EGalim impose le service d’au moins un repas végétarien par semaine et le Conseil National de la Restauration Collective recommande 5 fréquences de service pour les plats végétariens.

Arrêté du 30 septembre 2011 : des viandes pour garantir l’apport en fer et en oligoéléments
Depuis 2011, 15 règles sont imposées pour l’établissement des menus mensuels (arrêté du 30/09/2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis en restauration scolaire). Parmi ces règles, il est indiqué que « pour garantir les apports en fer et en oligoéléments, il convient de servir :
– au moins 4 repas avec, en plat protidique, des viandes non hachées de bœuf, veau, agneau ou des abats de boucherie ;
– au moins 4 repas avec, en plat protidique, du poisson ou une préparation contenant au moins 70 % de poisson et au moins deux fois plus de protéines que de matières grasses ;
– moins de 4 repas avec, en plat protidique, une préparation à base de viande, de poisson ou d’œuf contenant moins de 70 % de ces produits. »
Arrêté du 30/09/2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis en restauration scolaire

Quatre leviers testés pour améliorer la durabilité des repas

Des travaux de thèse menés au sein de l’équipe de Nicole Darmon d’INRAE ont été menés afin de trouver un compromis entre nutrition et durabilité. Pour ce faire, quatre leviers ont été actionnés, seuls ou en combinaison :
(1) Réduire de 5 à 4 le nombre de composantes des repas
(2) Respecter les 5 fréquences de service recommandées pour les plats végétariens en plus des 15 règles de fréquences imposées par la loi
(3) Augmenter le nombre de repas végétariens
(4) Eviter la viande de ruminant

Dix-sept scénarios ont été testés à partir d’une base de données de plats scolaires et 100 séries de 20 repas ont été générées pour chaque scénario. L’impact environnemental (émission de gaz à effet de serre (GES), acidification, utilisation de l’eau et des ressources fossiles, eutrophisation d’eau douce et marine, usage des terres) et la qualité nutritionnelle des repas ont été évalués.

Multiplier les repas végétariens, le meilleur compromis ?

Les analyses révèlent qu’aucun des scénarios testés ne peut à la fois réduire l’impact environnemental et augmenter la qualité nutritionnelle des repas.
En outre, trois des quatre leviers testés s’avèrent inenvisageables :
– Réduire de 5 à 4 le nombre de composantes des repas conduit à un apport énergétique du repas insuffisant par rapport aux besoins des enfants ;
– Respecter toutes les règles de fréquence de service augmente les impacts environnementaux (par rapport à leur non-respect) ;
– Augmenter le nombre de repas végétariens ne peut pas être considéré seul : s’il réduit bien les émissions de GES (jusqu’à -61 % avec 20 repas végétariens par mois), il diminue la qualité nutritionnelle des repas en réduisant notamment les apports en DHA, zinc et vitamines B1, B2, B3, B6, B12 et D (notons en outre que la moindre biodisponibilité du zinc et du fer issus des menus végétariens comparée à celle des menus non-végétariens n’a pas été prise en compte dans ces évaluations).

Pour les chercheuses, le meilleur compromis serait de combiner l’augmentation du nombre de repas végétariens (12 repas sur 20, soit 3 par semaine) à la substitution des 4 services avec viande de ruminant par 4 services avec viande de porc ou de volaille au sein d’un scénario avec 4 repas de poisson. Ce scénario réduirait les émissions de GES (-49 %), l’acidification (-47 %) et l’usage des sols (-56 %) tout en maintenant une bonne qualité nutritionnelle.

Toutefois, ce scénario est-il applicable en restauration scolaire ? Sera-t-il accepté par les enfants, habitués à consommer de la viande de bœuf ? Et quel sera son impact sur le gaspillage alimentaire ?

Le premier bilan du repas végétarien hebdomadaire fournit quelques pistes

Le bilan de l’expérimentation du menu végétarien hebdomadaire en restauration scolaire, réalisé par le Conseil Général de l’Alimentation et de l’Agriculture et des Espaces Ruraux en juin 2021, soit plus d’un an après sa mise en place, n’est pas encourageant. Celui-ci révèle plusieurs éléments peu favorables au menu végétarien. Sa mise en place a été difficile dans les écoles en raison de l’insuffisante préparation des opérateurs, de problèmes d’approvisionnement en produits végétariens et du manque de formation à la préparation de ce type de repas. L’acceptation des plats végétariens n’a pas été quantifiée mais des données issues des certains départements indiquent une organisation des élèves pour apporter leur gamelle de viande. Le coût et le temps de préparation n’ont pas été déterminés avec précision, mais les retours des départements estiment un coût supérieur lié à l’achat de produits industriels transformés ainsi qu’une augmentation du temps de préparation. Enfin, le gaspillage alimentaire semble être augmenté le jour du menu végétarien selon plusieurs enquêtes (AMF, AFDN, ADF).

Le scénario proposant 3 menus végétariens par semaine nécessiterait donc des efforts pédagogiques importants pour obtenir l’engagement des professionnels (cuisiniers, municipalité, diététiciens…), le soutien des parents et, surtout, l’acceptation des enfants.

Car au-delà des bénéfices évidents pour l’environnement, la proposition de 3 repas végétariens par semaine n’est valable que si ces repas sont appréciés des enfants, n’incluent pas de produits ultra-transformés, sont achetés au juste prix et idéalement à des producteurs locaux, et ne requièrent pas un temps de préparation trop important par rapport aux repas conventionnels.

Une évaluation biaisée de l’impact environnemental

La limite majeure de cet article repose sur le fait que la mesure de l’impact environnemental repose sur les données de la table Agribalyse de l’ADEME, seule table officielle de référence en France. Or, ces données proviennent uniquement d’une approche ACV (Analyse du cycle de vie) et comportent donc des lacunes, dénoncées par INTERBEV et rappelées par de nombreux acteurs au cours de l’expérimentation sur l’affichage environnemental menée en 2021 (voir article « Agribalyse 3.0, un nouveau regard (tronqué) sur nos assiettes »).

Certains facteurs d’émissions et indicateurs font l’objet de critiques et doivent être revus pour garantir une méthode d’évaluation robuste et fiable. Les choix méthodologiques faits jusqu’à maintenant en ACV et pour les affichages en cours de construction ne permettent de rendre compte ni des atouts des systèmes de polyculture-élevage en matière d’économie circulaire (bouclage des cycles de l’azote et du carbone, autonomie), ni des bénéfices liés à la valorisation de l’herbe et des surfaces non labourables (question de l’empreinte au sol, non concurrence alimentaire, biodiversité). Des lacunes qui pénalisent les pratiques agroécologiques et les systèmes reconnus vertueux. En particulier, l’ACV donne un poids prépondérant aux émissions de gaz à effet de serre, d’où les mauvais indicateurs systématiquement recueillis par les systèmes herbivores, du fait des émissions de méthane entériques intrinsèques à ces espèces. Sans oublier l’utilisation de l’unité au kilo qui impacte fortement les productions à cycle de vie long.

Notons que sans l’élevage ruminant en France, de nombreuses surfaces destinées à l’élevage ne pourraient pas être converties en terres cultivées, car seuls les herbivores ont la capacité de les valoriser pour produire des aliments consommables par l’Homme. Au-delà de l’utilisation même de ces surfaces, le retournement des prairies est à l’origine du relargage du stock de carbone présent sous ces surfaces et conduit à une hausse rapide et importante des émissions de GES. Un rapport du Comité économique et social européen (CESE) publié en décembre 2021, souligne d’ailleurs le rôle central de l’élevage extensif et des engrais organiques dans le maintien d’un système alimentaire efficace et durable, conformément aux nouvelles orientations fixées par le pacte vert pour l’Europe (voir article « Elevage extensif et engrais organiques : deux atouts précieux pour le pacte vert européen »). Ainsi, il est dommageable d’établir des recommandations drastiques envers la viande de ruminants sans en considérer toute la portée agro-écologique et sans tenir compte de l’équilibre des productions.

La cantine : un rôle nutritionnel, mais aussi social et éducatif

Enfin, il est également regrettable que cette ’étude ne mentionne pas les rôles social et éducatif de la restauration scolaire. Cette dernière doit en effet apporter :

  • Des menus équilibrés nutritionnellement : qui couvrent les besoins de TOUS, aussi bien les petits mangeurs que les grands, et surtout ceux des enfants qui n’ont pas un apport adéquat à la maison ;
  • Des menus diversifiés : afin de transmettre aux enfants leur patrimoine culinaire, en leur faisant découvrir de nouvelles saveurs et textures, sans restriction (viande, poisson, alimentation végétale…) ;
  • Des menus avec de la viande noble : nombre d’enfants ne mangent pas de viande rouge de qualité (au sens des critères de la loi Egalim 1) chez eux, où ils ont plutôt accès à des produits transformés de moindre qualité à base de viande, de volaille ou autre ;
  • Une diversité de produits carnés et plus globalement de plats protidiques, alors qu’actuellement la consommation de volaille et de charcuterie augmente chez les enfants.

 

Référence : Poinsot R, Vieux F, Maillot M, Darmon N. Number of meal components, nutritional guidelines, vegetarian meals, avoiding ruminant meat: what is the best trade-off for improving school meal sustainability? Eur J Nutr. 2022 Mar 24.https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35325264/

Source complémentaire : CGAAER

 

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