Agribalyse 3.0, un nouveau regard (tronqué) sur nos assiettes (Article d’analyse)

L’outil de mesure de l’impact environnemental des produits agricoles et alimentaires, Agribalyse, a présenté sa version 3.0 lors d’un colloque « Alimentation et Environnement » organisé par l’Inrae et l’Ademe, le 29 septembre 2020. Les échanges lors de ce colloque montrent que l’outil présente de nombreuses limites liées à une prise en compte partielle des critères impactant l’environnement.

Après 10 années d’existence, la base de données Agribalyse fait peau neuve avec l’intégration de 2 500 produits alimentaires « prêts à être consommés » (à la fois des produits bruts et des produits transformés) en plus des 200 produits agricoles « à la sortie du champ » qu’elle contenait déjà. Pour faciliter les liens entre santé, nutrition et environnement, il s’agit des mêmes produits que ceux présents dans la base de données nutritionnelle française de référence (CIQUAL)

Un outil fondé sur l’analyse du cycle de vie (ACV)

Agribalyse mesure les impacts environnementaux des produits agricoles et alimentaires à partir de l’analyse de leur cycle de vie (ACV). L’ACV recense les impacts environnementaux tout au long de la vie du produit, en se basant sur 14 indicateurs dont l’impact sur le changement climatique, exprimé en kilogramme équivalent de CO2 (kg eq CO2). Développée initialement pour les productions industrielles, cette méthode d’évaluation présente plusieurs biais, particulièrement préjudiciables quand on s’intéresse aux produits alimentaires.

La mesure au kg favorise l’agriculture intensive

Premier biais de l’ACV : l’impact sur l’environnement est ramené au kilo de produit. Une unité de mesure conventionnelle et comparative simple, mais qui ne reflète pas la complexité des produits alimentaires et favorise les plus hauts rendements, ce qui peut amener à des comparaisons hasardeuses.

Le premier inconvénient de cette approche est qu’elle favorise mécaniquement les systèmes de production intensifs. Une étude réalisée aux USA (Pelletier, 2010) montre qu’un élevage en pâturage produit 30 % de plus d’équivalents CO2 qu’un élevage en « feedlots » et aura un moindre rendement en kg de viande produite pour une même surface utilisée.

Deuxième inconvénient : tous les kg de produits alimentaires ne se valent pas ! Or, avec Agribalyse, un kg de chips de pomme de terre obtient un score 10 fois moins impactant que celui d’un kg de bœuf bourguignon (0,29 vs 2,77). En revanche, si l’on prend une autre unité de mesure rendant compte de la qualité nutritionnelle du produit – par exemple le kg de protéines -, le score est complètement différent : l’impact climatique est alors divisé par 4 pour le bœuf, alors qu’il augmente d’environ 20 % pour la pomme de terre (source INRAE/ Agralid). Cette illustration montre que l’unité de référence actuelle ne prend pas en compte l’ensemble des contributions de chaque aliment à l’alimentation, comme les aspects nutritionnels, mais il en va de même pour ceux liés à l’accessibilité. Or, on sait bien que tous ces aspects (environnement, santé, économie…) sont indissociables ; c’est pourquoi ils ont été inclus à la définition de la FAO des régimes alimentaires durables.

Les impacts positifs ne sont pas pris en compte

Autre élément partial de l’ACV (et donc des données d’Agribalyse) : la méthode ne tient compte que des impacts négatifs du produit sur l’environnement ; un biais qui défavorise naturellement les méthodes de production qui apportent des contributions positives à l’environnement. Ainsi dans le cas de l’élevage bovin, les données Agribalyse ne tiennent compte ni des émissions de gaz à effet de serre (GES) compensées par la réintroduction de carbone dans les sols via les déjections en prairies, ni de leur impact positif sur la biodiversité et la fertilisation naturelle des sols.

Même constat concernant l’agriculture bio : les données Agribalyse ne mettent pas en valeur les côtés vertueux de ce type d’agriculture avec le risque, à terme, de pénaliser sur le plan environnemental le système agricole biologique au profit du conventionnel et de l’intensif, ce qui est pour le moins paradoxal. Un projet de recherche « ACV BIO » a été lancé, afin de résoudre ce problème en identifiant des indicateurs environnementaux ACV spécifiques à l’agriculture biologique. Les résultats de ce projet ont été présentés lors du colloque, mais les experts précisent que « les manques actuels de la méthodologie ne permettent pas de comparer les produits biologiques à leurs homologues conventionnels ».

Un outil à utiliser avec prudence

Ces limites d’Agribalyse, les experts du colloque « Alimentation et environnement » n’ont pas manqué de les souligner. Vincent Collomb a ainsi mis en garde sur l’incertitude des mesures calculées et la prudence dont il faut faire preuve pour bien les utiliser, avant de présenter les différents projets de recherche en cours pour poursuivre l’amélioration de la base et de son utilisation : impact des pesticides sur la santé humaine et environnementale, impact sur la biodiversité, stockage et déstockage du carbone dans le sol actuellement non pris en compte dans le calcul. Louis-Georges Soler a également insisté sur les limites actuelles de la base à ne pas négliger dans l’interprétation et l’utilisation des résultats proposés, notamment en termes de mode de production (bio, labels…), et de certains aspects environnementaux non pris en compte, comme la biodiversité.

L’alimentation : une approche globale nécessaire

In fine, force est de constater que si l’on veut comprendre l’impact environnemental réel des aliments, il est nécessaire de se référer au service rendu au consommateur, c’est-à-dire d’intégrer des données environnementales complètes (prenant en compte les impacts négatifs, mais aussi positifs) et de se référer aux bénéfices nutritionnels qu’ils procurent au consommateur. Un travail complexe, multidimensionnel et de long terme, que les outils actuels ne permettent pas de refléter. D’où l’importance d’en avoir conscience afin de prendre les données existantes avec tout le recul nécessaire, et de bien les replacer dans le contexte dans lequel elles ont été produites.

Sources : Ademe, Inrae, Colloque Alimentation et environnement – Agribalyse, un nouveau regard sur vos assiettes, Journées de restitution ACV Bio, Restitution du projet ANR Agralid

Article 8/9 du dossier "Evaluation environnementale des viandes"

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