Obésité, sous-nutrition et changement climatique au niveau mondial : le nouveau rapport Lancet (Article d’analyse critique)

Une nouvelle Commission Lancet publie son rapport. Au programme : la syndémie (ou synergie de pandémies) que constituent l’obésité, la sous-nutrition et le changement climatique. Un document surprenant pour la prestigieuse revue, puisqu’il fait davantage penser à une prise de parole qu’à une revue scientifique.

Le 27 janvier 2019, une commission Lancet dite Global Syndemic of Obesity, Undernutrition, and Climate Change, a publié son rapport explorant l’enjeu majeur de santé constitué par le triptyque obésité, sous-nutrition et changement climatique.

Que dit ce nouveau rapport ?

Point de départ des 56 pages de cette publication : les trois pandémies que sont l’obésité, la sous-nutrition et le changement climatique, ou plutôt la syndémie mondiale (synergie de ces trois pandémies) qui en résulte. Celle-ci touche la plupart des gens dans tous les pays et toutes des régions du monde : les trois pandémies se produisent simultanément et n’épargnent aucune zone, interagissent les unes avec les autres pour produire des séquelles complexes, et partagent des préoccupations sociétales sous-jacentes communes.

Conséquence : la Commission recommande une approche globale, avec l’idée de faire d’une pierre deux, voire trois coups, en changeant simultanément la trajectoire des trois pandémies. Et les auteurs de rappeler le coût de chacune de ces pandémies (par exemple, 2 000 milliards de dollars par an pour les coûts directs de soins de santé et pertes de productivité économique liées à l’obésité) et l’intérêt économique d’investir pour y remédier (un investissement de 70 milliards de dollars sur 10 ans serait nécessaire pour atteindre les objectifs liés à la sous-nutrition avec, à la clé, un rendement économique estimé à 850 milliards de dollars).

Ainsi, le rapport souligne surtout le challenge de la mission sans pour autant apporter beaucoup de solutions précises et concrètes, se limitant souvent à des considérations vagues, comme le nécessaire renforcement des gouvernances nationales et internationales.

La viande et l’élevage ponctuellement pris à parti

La nutrition n’est finalement que peu abordée dans le document : les termes de lipides ou glucides ne sont jamais utilisés (le « gras » – fat – est utilisé une dizaine de fois, etc.), celui de « protéine » n’est cité qu’à deux reprises. In fine, ce rapport propose davantage une réflexion sociale, économique et stratégique.

Pourtant, la viande est spécifiquement évoquée à plusieurs reprises. Dans un encadré en page 5, sa consommation élevée est d’entrée de jeu associée à la définition retenue de la malnutrition : « Nous avons considéré la malnutrition comme un fardeau de pathologies résultant des composantes combinées de la malnutrition infantile et maternelle, d’un indice de masse corporelle (IMC) élevé et de risques alimentaires, représentant une variable composite incluant des facteurs alimentaires associés à des maladies non transmissibles, tels que les régimes pauvres en céréales complètes, fruits, légumes, fruits à coques et graines, et ceux riches en sodium, viande rouge et boissons sucrées. » Difficile pourtant de comprendre que l’on pointe du doigt la consommation excessive de produits « salés, à base de viande et sucrés », et non le triptyque plus conventionnel des « produits gras, salés, sucrés », voire celui plus émergent de produits hautement transformés. Et ce d’autant plus que, au-delà de cette définition initiale donnée en encadré, le corps du rapport est davantage consensuel en évoquant les consommations excessives du trio gras/sucre/sel lorsqu’il se penche par exemple sur la question des fast-foods.

En outre, page 16, un nouvel encadré consacré cette fois spécifiquement à la viande dénonce sa dynamique de consommation, ses conséquences en termes de gaz à effet de serre et pointe à nouveau sa soi-disant contribution à l’obésité. Une seule autre catégorie d’aliments « bénéficie » d’un traitement identique : les sodas et produits hypertransformés de type chips, céréales de petit-déjeuner, etc. auquel le rapport dédie également un encadré. Ce parallèle entre les produits salés, sucrés et la viande interroge… de même que celui opéré entre la viande et le pétrole, avec l’idée d’en faire payer le véritable prix pour en réduire la consommation (page 25).

Obésité : beaucoup de raccourcis

Dans ce fameux encadré de la page 16, les auteurs écrivent que « les liens entre la consommation excessive de viande et l’obésité et les maladies non transmissibles (MNT) connexes sont également bien connus. Une consommation excessive de viande peut contribuer à l’obésité. La consommation de viande rouge (viande transformée en particulier) est associée à un risque accru de MNT, dont des maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et certains cancers. »

Une présentation pleine d’imprécisions et qui paraît tronquée au regard des données scientifiques actuelles. Si la consommation excessive de viande a pu effectivement être pointée du doigt par certaines études comme facteur de risque d’obésité, il s’agissait d’études d’observation constatant une association mais ne permettant aucunement de conclure à un lien de causalité tel que présenté dans ce rapport. Dans ces études, on constate un amalgame fréquent entre viande rouge et viandes transformées (charcuterie). Il convient de distinguer ces deux catégories et de ne pas induire les lecteurs en erreur : les viandes rouges (bœuf, veau, agneau, mouton, cheval, porc (viande)) n’incluent pas la charcuterie (viande transformée) (voir article « Rapport de l’Anses sur l’actualisation des repères du PNNS »). En effet, nombre d’études épidémiologiques montrent des relations statistiquement significatives avec l’augmentation du risque de maladies chroniques, pour les consommations élevées de viandes transformées (charcuteries), mais non significative pour les viandes rouges (voir article « Risques de mortalité associés aux consommations de viande rouge, de viandes transformées et d’autres aliments sources de protéines »). En outre, ces consommations excessives de viande ou de charcuterie s’inscrivent souvent dans un profil global de consommation alimentaire et d’hygiène de vie « à risque » (surpoids, consommation plus importante d’alcool, consommation excessive de plusieurs types d’aliments « gras-sucrés-salés », consommation insuffisantes de fruits et légumes et de fibres alimentaires, etc.).

Enfin, notons que la réalité des consommations montre que les recommandations en matière de consommation de viande rouge sont respectées par une très grande majorité de la population française. Or, seule leur consommation excessive peut s’avérer délétère, en termes d’obésité et autres MNT (voir par exemple les articles « Faut-il réduire notre consommation de viande ? L’Inra livre des données pour comprendre » et « Quels sont les bénéfices et les limites d’une diminution de la consommation de viande ? Avis scientifique de l’Inra »). D’autant que la viande n’est pas un aliment de grignotage et que sa richesse en protéines favorise la satiété.

Sous-nutrition : l’importance reconnue de la viande

Sur le chapitre de la sous-nutrition, l’importance des apports en protéines de bonne qualité nutritionnelle, en vitamine B12 et en fer, et donc l’importance de la participation de la viande à un régime équilibré, n’est plus à démontrer. Surtout dans un contexte où, si l’on en croit le rapport page 11, le changement climatique tendrait à réduire le contenu des plantes en protéines et micronutriments. D’ailleurs, les auteurs le reconnaissent dans leur encadré de la page 16 : « Les aliments d’origine animale, y compris la viande, sont riches en micronutriments hautement biodisponibles, en particulier pour les jeunes enfants, et apportent une contribution importante à des régimes de qualité lorsqu’ils sont consommés avec modération. »

Environnement : un contributeur social mais…

Au-delà de la viande en tant que telle, le rapport revient sur la question de l’élevage (page 11) : « L’élevage participe à lui seul à hauteur de 12-19 % aux gaz à effet de serre. Les types d’aliments produits ont des effets différents. La production de  viande et de produits laitiers requièrent tous les deux davantage de ressources et génèrent des émissions de méthane plus importantes que les aliments sources de protéines  végétales. »

Néanmoins, les auteurs reconnaissent un certain intérêt des productions animales dans le fameux encadré de la page 16 : « Dans de nombreuses régions, la production animale est également un contributeur important aux moyens de subsistance, au revenu du ménage et à la richesse nationale, et dans les zones semi-arides et arides, il existe souvent peu d’autres utilisations productives des terres. » Pour autant, le rapport se sent le besoin de tempérer dès la phrase suivante : « La production d’aliments pour le bétail peut cependant détourner les aliments de la consommation humaine directe, et menace la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des populations déplacées par l’expansion des terres cultivées pour la production d’aliments pour animaux, qui constitue également une cause importante de déforestation. »

Revue d’opinions plus que rapport scientifique ?

Dès lors que le rapport examine la question des systèmes complexes, la viande est à nouveau l’un des seuls aliments à resurgir dans les propos (page 13) : « La consommation de viande rouge est largement consommée dans les pays à revenu élevé et, à mesure que les pays se développent économiquement, la demande de viande rouge en tant qu’aliment de statut élevé augmente également. Réduire la consommation de viande rouge constitue la pierre angulaire d’une alimentation saine et durable. »

Au final, le rapport de cette Commission Lancet n’a d’intérêt que pour l’état des lieux qu’il dresse et les quelques données chiffrées qu’il propose (prévalence de l’obésité et de la sous-nutrition, etc.). On s’étonne que la viande y soit ainsi mise en exergue, dans un discours parfois très éloigné des réalités nutritionnelles et scientifiques, et dont les encadrés contredisent ponctuellement le texte principal… Mais peut-être est-ce parce que ce rapport se pose davantage comme une prise de parole et une revue d’opinion qu’une revue scientifique, comme l’illustrent les nombreux témoignages personnels, généralement en encadrés, qui l’émaillent.

Source : The Lancet.

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