Publication de la loi Anti-gaspillage et Economie circulaire : une expérimentation de l’affichage environnemental (Article de synthèse + position d’Interbev)

La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire prévoit dans son article 15 l’expérimentation d’un affichage environnemental volontaire des biens et des services, « basée principalement sur une analyse du cycle de vie ». Interbev vous en dit plus sur cette expérimentation et vous livre sa position.

 L’article 15 de la Loi N°2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire institue « un dispositif d’affichage environnemental ou environnemental et social volontaire ». Celui-ci « est destiné à apporter au consommateur une information relative aux caractéristiques environnementales ou aux caractéristiques environnementales et au respect de critères sociaux d’un bien, d’un service ou d’une catégorie de biens ou de services, basée principalement sur une analyse du cycle de vie. Les personnes privées ou publiques qui souhaitent mettre en place cet affichage environnemental ou environnemental et social, par voie de marquage, d’étiquetage ou par tout autre procédé approprié, notamment par une dématérialisation fiable, mise à jour et juste des données, se conforment à des dispositifs définis par décrets, qui précisent les catégories de biens et services concernées, la méthodologie à utiliser ainsi que les modalités d’affichage ».

UNE MESURE DEJA PORTEE PAR LA LOI GRENELLE

L’idée d’un tel affichage n’est pas nouvelle : déjà, en 2009, la loi « Grenelle I » affirmait que les consommateurs devaient disposer d’une information « sincère, objective et complète » sur les impacts environnementaux des produits. Un an après, la loi Grenelle II impulsait une expérimentation de l’affichage environnemental, préalable à son éventuelle généralisation, sur la base de la méthode de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV).

Dans le cadre de cette expérimentation, les professionnels de la filière de l’élevage et des viandes françaises, mais aussi des associations et des parlementaires, avaient fait part de leurs fortes réserves quant au choix de cette méthode. Un rapport d’information de l’Assemblée Nationale, publié le 20 novembre 2013, pointait notamment ce biais majeur : lorsqu’il s’agit de mesurer l’impact environnemental des produits issus de l’élevage d’herbivores, l’ACV, qui se focalise sur la comptabilisation des impacts négatifs « tout au long de la vie » des produits et les rapporte au kilo de produit sans intégrer les bénéfices liés à la valorisation de l’herbe, aboutit à un contre-sens environnemental.

LES LIMITES DE L’ANALYSE DU CYCLE DE VIE

L’ACV est une méthode de quantification des impacts environnementaux potentiels d’un produit (bien ou service) sur l’ensemble des étapes de son cycle de vie, c’est-à-dire de l’extraction des matières premières à la fin de vie. Grâce à son approche « cycle de vie », la méthode permet d’identifier de possibles transferts d’impacts entre étapes du cycle de vie. A l’origine développée pour la production industrielle, pour raisonner la performance environnementale en termes de volume produit, cette approche méthodologique est aujourd’hui appliquée aux domaines agricoles et alimentaires. Pour les produits alimentaires, les différents impacts potentiels sont ensuite rapportés au kilogramme de produit (unité fonctionnelle), qui permet de comparer les produits entre eux mais ne rend pas compte de leur valeur nutritionnelle. Ainsi, la comparaison entre 1kg de blé et 1kg de viande est inepte sur le plan nutritionnel, mais pourtant pratiquée via des utilisations simplistes des résultats de l’ACV.

Par ailleurs, cette méthode pénalise mécaniquement les produits issus des systèmes les plus « longs », comme les viandes issues des systèmes de production les plus extensifs et herbagers (qui requièrent davantage de temps), et plus globalement les produits à moindre rendement, comme ceux issus de l’agriculture biologique, tandis qu’elle favorise les systèmes plus intensifs.

Enfin, l’ACV présente des lacunes aujourd’hui clairement identifiées sur certains enjeux environnementaux majeurs : biodiversité, pesticides, qualité des sols. Ainsi une étude récente, financée par l’ADEME, ACV BIO indique qu’ «  actuellement, les indicateurs usuels de l’ACV ne suffisent pas pour l’évaluation environnementale des systèmes : ils ne rendent pas correctement compte de tous les impacts, en particulier ceux liés à l’utilisation des pesticides, d’antibiotiques et antiparasitaires, les impacts sur la qualité du sol, ni de l’ensemble des enjeux environnementaux, notamment des enjeux liés à la biodiversité et la fourniture de services écosystémiques. L’ACV avance sur de nouveaux indicateurs d’impact, mais ils sont encore peu opérationnels. La question de l’inclusion de certains indicateurs complémentaires est donc indispensable, et ce d’autant plus pour évaluer les systèmes en bio, reposant davantage sur la diversification et l’autonomie (moindre recours aux intrants, et services écosystémiques renforcés) ».

Au final, avec cette méthode, les viandes rouges obtiennent des notes très négatives comparées aux autres protéines animales, alors même qu’elles proviennent, en France, de systèmes herbagers, plébiscités par les politiques publiques et la société civile.

UNE EXPERIMENTATION DE 18 MOIS

La loi précise qu’ « une expérimentation est menée pour une durée de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi afin d’évaluer différentes méthodologies et modalités d’affichage environnemental ou environnemental et social. Cette expérimentation est suivie d’un bilan, qui est transmis au Parlement, comprenant une étude de faisabilité et une évaluation socio-économique de ces dispositifs. Sur la base de ce bilan, des décrets définissent la méthodologie et les modalités d’affichage environnemental ou environnemental et social s’appliquant aux catégories de biens et services concernés ».

INTERBEV sera volontaire pour y participer sous réserve qu’il s’agisse de revoir la méthodologie et les données actuelles d’évaluation environnementale de manière à mieux évaluer les viandes rouges.

Position d’INTERBEV

Notre filière travaille de longue date sur le sujet de la réduction de l’impact environnemental et de son évaluation.

Sur le premier point : nous engageons des programmes ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre en élevage (programme LIFE BEEF CARBON), en déployant le diagnostic multicritères CAP’2ER dans les élevages français. Nos stratégies de filière visent à préserver les qualités de notre modèle d’élevage herbivore (forte place de l’herbe et de prairies, autonomie alimentaire, complémentarités élevages et cultures) que reconnaissent les ONG environnementales avec lesquelles nous nous concertons (WWF, FNE, FNH, Greencross). Ainsi, la filière a choisi de miser sur le LABEL ROUGE (avec un cahier des charges révisé pour mieux intégrer les attentes sociétales : alimentation non-OGM, autonomie fourragère des exploitations, pâturage, garanties sur le bien-être animal) et le BIO. Tous nos engagements environnementaux, mais aussi ceux en faveur de la protection des animaux, de la juste rémunération des acteurs de la filière et d’une alimentation plus durable, sont évalués par l’AFNOR au travers d’une démarche de responsabilité sociétale ISO 26000 pour laquelle nous avons reçu le label engagé de niveau 3 sur 4.

Sur le deuxième point, celui de l’évaluation environnementale, nous alertons depuis longtemps sur les limites de l’ACV quand elle est rapportée au kilogramme de produit, puisqu’elle pénalise mécaniquement les produits qui ont les cycles de vie les plus longs (donc les herbivores, les produits bio, les systèmes les plus extensifs). Par ailleurs, cette méthode ne permet pas de capter les contributions positives d’un système agricole, par exemple celles des prairies, riches en biodiversité et préservant la qualité de l’eau et le stockage de carbone ou encore les complémentarités entre élevage et cultures (agroécologie). Lors de notre concertation, nous avions partagé ce constat avec les ONG environnementales avec lesquelles nous travaillons [1]. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons engagés, avec le soutien de l’ADEME, le projet OEKO-BEEF, dans le cadre de l’appel à projet GREENGO. Ce dernier vise à compléter les indicateurs d’évaluation environnementale existants, afin de mieux qualifier les apports et garanties des viandes bovines Label Rouge et Bio et donc des systèmes herbagers.

[1] http://www.interbev.fr/wp-content/uploads/2017/02/Elevage_bovin_allaitant_francais_et_climat-INTERBEV-02-2017.pdf p 14 Évaluer par une approche multicritère les impacts positifs et négatifs des exploitations d’élevage de bovins allaitants sur l’environnement.

En résumé

  • Les professionnels de la filière élevage et viandes rappellent qu’ils sont volontaires pour avancer, en concertation avec tous les acteurs de référence, comme l’ADEME, les pouvoirs publics et les ONG environnementales, vers une viande française toujours plus durable. Ils rappellent qu’ils s’engagent dans des programmes ambitieux de réduction de l’empreinte environnementale des viandes, qu’ils utilisent l’ACV à des fins d’amélioration interne (comme CAP’2ER en élevage) et qu’ils sont volontaires pour travailler à des indicateurs environnementaux complémentaires ACV et hors ACV (comme dans le projet OEKO-BEEF), mais qu’ils ont toujours condamné l’utilisation simpliste de l’ACV appliquée aux produits alimentaires.
  • Ils ne comprennent absolument pas que des données issues d’une méthode, dont les limites sont reconnues par les ONG environnementales et par l’ADEME elle-même (comme dans le projet ACV BIO) et qui n’arrive pas encore à prendre en compte les spécificités et contributions positives de systèmes agricoles vertueux, puissent servir à définir l’assiette durable de demain.
  • Cette même méthode qui, en l’état actuel, pénalise les systèmes bio, herbagers et extensifs, et livre des conclusions dissonantes par rapport aux orientations agroécologiques portées par les politiques publiques pour l’agriculture.

Autres mesures concernant la filière élevage et viande

Outre un dispositif d’affichage environnemental, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire contient plusieurs mesures concernant la filière élevage et viande :

  • Lutte contre le gaspillage pour la préservation des ressources naturelles (article 31) : la loi fixe un objectif de réduction de 50 % du gaspillage en 2030 pour la distribution alimentaire et la restauration collective. Les opérateurs agroalimentaires devront mettre en place, avant le 1er janvier 2021, une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire, qui comprend notamment la réalisation d’un diagnostic ;
  • Fin de la mise sur le marché d’emballages en plastique à usage unique d’ici 2040 (article 7) : l’objectif de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets est de tendre vers 100 % de plastique recyclé d’ici au 1er janvier 2025 (article 5) ;
  • Dispositif de Responsabilité Elargie du Producteur (REP) (article 62) : la filière « emballages ménagers » est étendue aux emballages consommés hors foyer et à ceux destinés aux professionnels à partir du 1er janvier 2025. Les éco-contributions seront modulées en fonction de la performance environnementale ; un fonds sera créé pour le financement du réemploi et de la réutilisation ;
  • Promotion du développement de la réutilisation des eaux usées traitées et de l’utilisation des eaux de pluie en remplacement de l’eau potable (article 69) ;
  • Encadrement de l’épandage des boues biologiques, en particulier industrielles (article 86) : les référentiels réglementaires sur l’innocuité environnementale et sanitaire qui leur sont applicables, seront révisés au plus tard le 1er juillet 2021 afin de prendre en compte, les métaux lourds, les particules de plastique, les perturbateurs endocriniens, les détergents ou les résidus pharmaceutiques tels que les antibiotiques. A compter de la même date, l’usage au sol de ces boues, seules ou en mélanges, brutes ou transformées est interdit dès lors qu’elles ne respectent pas lesdits référentiels réglementaires et normatifs.

Pour en savoir plus : Journal officiel du 11 février 2020

 

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