Viandes rouges non transformées et santé : que conclut le nouveau score de gradation de la preuve de l’IHME ? (Article d’analyse)

Le nouveau score de gradation du niveau de preuve développé par l’Institute of Health Metrics and Evaluations conclut à une absence de preuve d’effets ou à de faibles effets concernant le risque de différentes maladies associé aux viandes rouges non transformées. 

Une équipe de l’Institut des mesures et des évaluations en santé de l’Université de Washington (Seattle) vient de mettre au point une nouvelle méthode d’évaluation du niveau de preuve des relations entre l’exposition à différents facteurs (de risque ou protecteurs) et la santé (voir encadré).

 Une nouvelle méthode d’évaluation des niveaux de preuves des relations entre facteurs de risque et maladies

L’IHME (Institute of Health Metrics and Evaluations) a publié en octobre 2022 une nouvelle méthode[1] évaluant la qualité globale des données relatives aux relations entre un comportement de santé et le risque de maladies. Cette méthode permet de calculer un score allant de 0 à 5 étoiles :

– 1 étoile : pas de preuve d’une association

– 2 étoiles : faible preuve d’une association

– 3 étoiles : preuve modérée d’une association

– 4 étoiles : preuve forte d’une association

– 5 étoiles : preuve très forte d’une association

Alors que les méthodes pré-existantes considèrent généralement que la relation dose-réponse entre l’exposition à un facteur donné et le risque de maladie est constante quel que soit le niveau d’exposition (hypothèse de « log-linéarité »), la nouvelle méthode se démarque en s’affranchissant de telles suppositions et en considérant que la relation peut être variable selon les plages d’exposition.

De plus, elle prend en compte l’hétérogénéité entre études, ce qui rend mieux compte du degré d’incertitude autour des valeurs moyennes de risque calculées (intervalles de confiance plus étendus).

Dans un article paru dans Nature Medicine, des chercheurs de la même équipe appliquent cette méthode à l’évaluation des risques liés à la consommation de viande rouge non transformée vis-à-vis de six maladies : cancer du sein, cancer colorectal, diabète de type 2, cardiopathies ischémiques (dont infarctus), AVC ischémiques (i.e. par obstruction d’un vaisseau) et AVC hémorragiques (i.e. par rupture d’un vaisseau).

Pas de preuves ou de faibles preuves pour la viande rouge non transformée

L’étude conclut à l’absence de preuve (1 étoile) concernant les associations entre consommation de viande rouge non transformée et les AVC ischémiques (8 cohortes) et hémorragiques (8 cohortes). Elle conclut en revanche à un niveau de preuve mais faible (2 étoiles sur 5) concernant les autres maladies évaluées, à savoir le cancer colorectal (sur la base de l’analyse des données issues de 20 études de cohorte et d’une étude cas-témoin nichée), le cancer du sein (6 cohortes), le diabète de type 2 (17 cohortes) et les cardiopathies ischémiques (11 cohortes). A noter toutefois que, les résultats pour ces deux dernières maladies (cardiopathies ischémiques et diabète de type 2) étant à la limite entre la gradation à deux étoiles et à une étoile, les chercheurs n’excluent pas que ces relations puissent basculer dans cette dernière catégorie (c’est-à-dire être requalifiées d’” absence de preuve d’une association”) si de nouvelles données venaient à être intégrées.

Des incertitudes majeures autour de la consommation minimale sans risque

En combinant les résultats obtenus pour les six maladies, les chercheurs calculent un risque minimal théorique pour une consommation de 0 g de viande par jour, mais soulignent surtout la grande incertitude autour de cette valeur. En effet, l’intervalle de confiance est particulièrement étendu du fait de la haute hétérogénéité entre études : il varie de 0 à 200 g/j, ce qui signifie que la vraie valeur a 95 % de chances de se trouver dans cet intervalle.  « À la lumière de ces résultats, nous soutenons que ne pas consommer de viande rouge non transformée minimise probablement le risque de santé par rapport à la consommation de viande rouge non transformée. Toutefois, l’incertitude et le faible nombre d’étoiles nous empêchent de faire une recommandation forte au niveau de la consommation ». À noter, cette conclusion concerne uniquement les six maladies précitées, et ne tient pas compte des bénéfices nutritionnels de la viande en tant que vecteur de nutriments essentiels comme le fer (ou la vitamine B12), à même de réduire les risques de déficiences.

Les effets des faibles doses brouillés par le type de substitution

Les chercheurs notent en outre que les risques associés à la viande rouge non transformée varient selon les plages de consommation. Les données observées sont particulièrement hétérogènes aux faibles doses, ce qui pose la question des aliments se substituant à la viande, qui peuvent se révéler plus ou moins sains. Comme le souligne un article d’opinion accompagnant cette publication[2], « l’effet santé d’une réduction de la consommation de viande dépend des effets des aliments qui remplacent celle-ci ». Et d’appeler des études évaluant ces effets de substitution.

Toujours les mêmes limites aux études observationnelles

L’étude et la démarche des chercheurs de l’IHME ont aussi retenu l’attention d’un éditorial[3] de la revue Nature, qui apporte plusieurs mises en perspective. Il pointe notamment que les relations portant sur les effets du régime alimentaire sur la santé sont généralement caractérisées par des niveaux de preuves faibles à modérés. Par exemple, le niveau de preuve associé aux effets bénéfiques de la consommation de légumes sur les AVC et les cardiopathies ischémiques sont jugés modérés (3 étoiles) selon la méthode de l’IHME. Cela pourrait en partie résulter de l’effet modeste des facteurs alimentaires sur la santé, par rapport à d’autres facteurs comme le tabac (les preuves d’un effet de ce dernier sur la survenue de différents cancers sont d’ailleurs jugées très fortes -5 étoiles- selon la même méthodologie). Mais surtout, pour les auteurs de cet éditorial titré « Studies linking diet with health must get a whole lot better », les faibles niveaux de preuve associés aux études nutritionnelles témoigneraient de leur besoin de s’améliorer… Un jugement qui résonne avec les remarques des deux autres articles, qui soulignent les limites des études observationnelles d’épidémiologie nutritionnelle, et tout particulièrement l’existence incompressible de biais résiduels, malgré tous les ajustements réalisés dans les modèles. Les difficultés liées aux erreurs de mesure et de déclaration par les sujets (les consommations alimentaires étant généralement rapportées par les sujets eux-mêmes) sont également évoquées. Bien que ce point ne soit pas explicitement abordé, les hétérogénéités constatées entre les études sur les classifications des viandes rouges (pas toujours différenciées des viandes transformées) peuvent aussi poser question.

 Des conclusions limitées aux populations adultes des pays développés

Par ailleurs, les chercheurs mettent en garde contre la généralisation des résultats de leur présente analyse à l’ensemble de la population mondiale : premièrement parce que les études incluses ne portent que sur des adultes et que la viande rouge peut jouer un rôle majeur dans la croissance et le développement des enfants ; deuxièmement parce que les études concernent majoritairement des populations d’Europe, d’Amérique du Nord et plus marginalement d’Asie, et que les résultats ne peuvent dont pas être extrapolés aux autres régions du monde, où les consommations de viande diffèrent à la fois en termes de quantités, de types de viande et de modes de préparation.

 Un élément d’éclairage pour les politiques de santé

Enfin, les chercheurs replacent leurs résultats dans un contexte plus général de santé publique : leur outil de gradation, ici appliqué à l’étude des effets santé de la viande non transformée, donne un score global de niveau de preuve qui s’appuie à la fois sur la force de l’association et sur le degré d’incertitude associé. Il ne constitue que l’un des éléments d’éclairage à prendre en compte par les autorités de santé, dont les recommandations s’appuient sur d’autres considérations, comme la fréquence du comportement dans la population.

Référence : Lescinsky H, Afshin A, Ashbaugh C, Bisignano C, Brauer M, Ferrara G, Hay SI, He J, Iannucci V, Marczak LB, McLaughlin SA, Mullany EC, Parent MC, Serfes AL, Sorensen RJD, Aravkin AY, Zheng P, Murray CJL. Health effects associated with consumption of unprocessed red meat: a Burden of Proof study. Nat Med. 2022 Oct;28(10):2075-2082. doi: 10.1038/s41591-022-01968-z.

Source : Nature Medecine

[1] Zheng P, Afshin A, Biryukov S et al. The Burden of Proof studies: assessing the evidence of risk. Nat Med. 2022 Oct;28(10):2038-2044. doi: 10.1038/s41591-022-01973-2.

[2] Tong TYN, Papier K, Key TJ. Meat, vegetables and health – interpreting the evidence. Nat Med. 2022 Oct;28(10):2001-2002. doi: 10.1038/s41591-022-02006-8. PMID: 36216937.

[3] Studies linking diet with health must get a whole lot better. Nature. 2022 Oct;610(7931):231. doi: 10.1038/d41586-022-03199-1.

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