Préoccupations et comportements alimentaires : quelles évolutions générationnelles ? (Article de synthèse)

Pascale Hébel du Crédoc a publié dans la revue Raison présente un article analysant les effets de génération sur les consommations alimentaires. Elle y confronte les préoccupations exprimées par les consommateurs à la réalité de leurs comportements, faisant émerger quelques contradictions.

 

On le sait : nos comportements alimentaires évoluent au gré des époques. Un article de Pascale Hébel, directrice du pôle Consommation et entreprises du Crédoc et membre de l’académie d’Agriculture, paru dans la revue Raison présente, analyse en quoi l’évolution des attentes et des préoccupations des différentes générations sont à même d’expliquer ces évolutions comportementales ; bien que dans les faits, les comportements ne suivent pas toujours les aspirations exprimées.

Une préoccupation écologique croissante

D’après cette experte du comportement alimentaire, l’effet de génération constituerait l’un des principaux déterminants des comportements. Chaque génération développerait des préoccupations propres vis-à-vis de l’alimentation, émanant largement du contexte sociétal de son époque (voir encadré).

Les générations se suivent…mais ne se ressemblent pas

En alimentation, les experts considèrent qu’une génération est marquée par le comportement qu’elle adopte à 25 ans, âge moyen de la mise en couple. Dix générations définies par décennies se succèdent ainsi sur le 20e siècle : « Privations » (née entre 1907 et 1916) ; « Rationnement » ; « Réfrigérateurs » ; « Robots ménagers » ; « Hypermarchés » ; « Aliments services » ; « Low-Cost » ; « Internet » ; « Nomade » et « Mieux manger ».

Ainsi, les préoccupations écologiques iraient crescendo chez les dernières générations, « nées dans un contexte de norme écologique et nettement plus sensibles à la dégradation de l’environnement ». En particulier, dans la génération née entre 1997 et 2006, appelée « Mieux manger », au sein de laquelle 28 % des individus place la dégradation de l’environnement au premier rang de leurs préoccupations (devant le chômage, la pauvreté ou encore l’immigration), alors qu’ils n’étaient que 8 % dans la génération née 80 ans plus tôt. Cette préoccupation environnementale est aussi très fortement liée au niveau de diplôme : de 29 % pour les plus diplômés à 11% chez les non diplômés. En parallèle, la préoccupation de bien-être animal a progressé de 10 points entre 2017 et 2018 pour se stabiliser en 2019[1].

Pascale Hébel résume ainsi les attentes environnementales des consommateurs actuels : « Pour préserver la planète, les consommateurs veulent faire changer le modèle agricole, en limitant les pesticides ou en allant vers un modèle moins intensif et privilégiant les productions végétales ».

Aspirer à une alimentation saine

Une proportion croissante de consommateurs fait par ailleurs le lien entre alimentation et santé. Cette prise de conscience serait apparue avec les crises sanitaires telles que celle de la vache folle en 2000. Elle a été renforcée par les recommandations de consommation du Programme National Nutrition Santé (PNNS) et par les communications scientifiques liant de plus en plus l’alimentation aux maladies métaboliques. En particulier la génération « Mieux manger » a grandi « dans un contexte de diffusion des messages sanitaires et hygiénistes ». Selon l’analyse de Pascale Hébel, pour les jeunes de cette génération, « manger, c’est essentiellement faire attention à ce qu’ils ingèrent ». Sous l’influence conjointe de ses préoccupations environnementales et de santé, cette génération comporte davantage de végétariens et consomme en moyenne moins de produits carnés.

La qualité de l’alimentation redéfinie

Ces nouvelles aspirations viennent bousculer ce que les individus entendent par alimentation de qualité. Une enquête du Crédoc a montré qu’en 2000, un « aliment de qualité » évoquait avant tout le goût, alors qu’en 2018, les qualificatifs « Bio » et « sans » (pesticides, colorants, additifs…) sont cités en premier, la dimension gustative n’arrivant qu’en quatrième position. En outre, alors que les générations se sont progressivement éloignées du monde agricole, leurs représentations alimentaires évoluent vers des modèles qui rassurent, comme le locavorisme, les circuits courts, le made in France, ou encore le fait-maison. Quant à l’ère du « sans » (gluten, lactose…), elle pourrait se justifier par un besoin de « mange[r] différemment pour se distinguer ».

Alimentation idéale versus réalité des comportements alimentaires

Malgré ces idéaux forts exprimés en matière d’alimentation, en pratique, l’évolution des modes de vie tend à réduire le temps consacré aux courses et à la préparation des repas. Les nouvelles générations, toutes catégories sociales confondues, recherchent la praticité et le gain de temps pour leur alimentation. Elles les trouvent notamment dans la consommation de produits tout-prêts (plats préparés, sandwichs, restauration et livraison à domicile). Ainsi, la consommation de l’ensemble des produits frais (viande, légumes, fruits, poisson) diminue chez les générations les plus jeunes, alors que celle de produits transformés augmente.

Par ailleurs, entre 2007 et 2016, les adultes les plus diplômés ont diminué leurs consommations de produits carnés (- 12 %) et de produits laitiers (- 21 %). Cependant, cette évolution, qui prétend répondre aux nouvelles normes écologiques et de santé, n’est pas sans conséquences nutritionnelles : « Les quantités de protéines ou de calcium consommées sont en forte baisse et pourraient à terme avoir des conséquences néfastes sur la santé des populations les plus fragiles », souligne Pascale Hébel.

En somme, si les enquêtes alimentaires récentes montrent des préoccupations écologiques et de santé croissantes, en particulier au sein des jeunes générations et des plus diplômés, cette tendance se caractérise par une moindre consommation de produits frais au profit du tout-prêt malheureusement peu compatible avec une alimentation saine. Un nouvel équilibre reste donc à trouver.

[1] L’article ne précise pas la ou les générations concernées par cette augmentation.

Source : Hébel P. Comment les consommateurs accélèrent la transition protéique ?  Raison présente 2020/1 (N° 213), p. 73-83.

(c) Cathy Yeulet-123RF

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