Peut-on encore publier librement sur la viande ? (Article de synthèse)

Un texte de 4 pages intitulé « La réaction négative aux recommandations diététiques sur la viande soulève des questions sur les liens entre les entreprises et les scientifiques de la nutrition » est paru dans la célèbre revue JAMA. Une réponse en règle aux attaques de soi-disant organisations de lutte contre la désinformation… qui ne seraient pas celles qu’elles prétendent être.

Il n’aurait dû s’agir que de publications parmi d’autres. En l’occurrence, cinq revues systématiques : quatre portaient sur les résultats d’essais cliniques randomisés et d’études d’observation examinant la relation entre la viande rouge et la santé ; et la cinquième sur les valeurs et préférences en matière de consommation de viande liées à la santé. Des travaux pour lesquels les auteurs avaient même pris soin de juger comme faible leur niveau de recommandation et leur niveau de preuves. Conclusions de ces études ? D’une part, l’absence de lien significatif entre la consommation de viande et le risque de maladie cardiaque, de diabète ou de cancer dans une douzaine d’essais cliniques randomisés auxquels ont participé environ 54 000 personnes. Et, d’autre part, une très faible réduction du risque de maladie chez les personnes qui consommaient 3 ou 4 portions de viande rouge par semaine dans des études épidémiologiques qui ont suivi des millions de personnes, avec une association incertaine. D’où la remise en cause de la recommandation de manger moins de viande.

Une attaque en règle

Pas de quoi fouetter un bœuf a priori, et pourtant, avant même que l’étude ne soit publiée dans Annals of internal medecine (ce qui soulève accessoirement la question du respect de l’embargo), la rédactrice en cheffe subissait une attaque en règle de sa messagerie électronique. Avec des menaces à peine voilées. Loin de s’arrêter là, l’agression dont ont fait les frais les auteurs et éditeurs a pris des proportions inédites : accusations de désinformation et de conflits d’intérêt, mise en cause nominative, demande au procureur du district de la ville de Philadelphie (où se trouve le bureau de rédaction des Annals) « d’enquêter sur une éventuelle mise en danger par imprudence ». Un acharnement rappelant les coulisses de certaines campagnes politiques nauséabondes. Avec aux manettes, de probables lobbys ayant tout intérêt à ce que le steak tartare cède la place à un « homologue » végétal. Et sans doute une bonne dose de mauvaise foi : une plongée dans les CV des chefs de file de ces attaques, et notamment celui de David Katz qui dirige True Health Initiative, mettrait en évidence des liens d’intérêts avec l’industrie « végétale » (et celle du bien-être qui gravite autour) qui se chiffreraient en millions de dollars… et même une lettre d’avertissement de l’administration américaine équivalente à l’Anses française, la Food and Drug Administration (FDA), pour de fausses allégations nutritionnelles.

Aux sources du problème ?

Pour le spécialiste de l’obésité de la faculté de médecine de Harvard, David Ludwig, le fond du problème viendrait de la conception même des études en nutrition. Dans un récent numéro de JAMA Viewpoint, il écrivait que, par rapport à la recherche pharmaceutique, les études sur l’alimentation sont beaucoup plus difficiles à évaluer en termes de cohérence, de contrôle de la qualité, de confusion et d’interprétation, ce qui rend la traduction de leurs résultats en politique publique « extrêmement difficile ».
Dans l’attente, la cacophonie qui a éclaté a noyé les conclusions de ces cinq études. « Le malheur est que les messages importants ont été perdus, regrette ainsi la rédactrice en cheffe de Annals of internal medecine. Nous ne devrions pas faire en sorte que les gens redoutent une crise cardiaque ou un cancer du côlon en mangeant de la viande rouge. »

Référence : Rubin R. Backlash over meat dietary recommendations raises questions about corporate ties to nutrition scientists. JAMA, 2020 ; 323(5):401-404.

Source : JAMA.

 

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