Décarbonation de l’agriculture : comparaison des dispositifs (Article d’analyse)

Face aux dérèglements climatiques dont les aléas se font déjà nettement sentir, l’agriculture doit rapidement, à la fois, atténuer sa contribution aux émissions de gaz à effet de serre et s’adapter pour maximiser les puits de carbone naturels (sols agricoles, prairies, haies…). Cela nécessite des changements conséquents dans les pratiques actuelles et des investissements que les agriculteurs ne peuvent pas – en l’état actuel de leurs revenus – se permettre. Une étude parue en janvier 2022, commandée par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et réalisée par Greenflex, fait le point sur les dispositifs de valorisation des réductions d’émissions de gaz à effet de serre et de stockage du carbone destinés aux exploitations agricoles. Elle traite également des conditions de leur développement massif à court, moyen et long termes.

Selon le Haut Conseil pour le Climat (HCC), le secteur de l’agriculture était, en 2019, la troisième source d’émission de gaz à effet de serre (GES) du pays, avec près de 19 % des émissions totales. Pour répondre aux objectifs de neutralité carbone que se sont fixées la France et l’UE à horizon 2050 – condition sine qua none pour maintenir le réchauffement en dessous de 2°C -, le secteur agricole doit prendre sa part dans la réduction des émissions tout en continuant sa mission essentielle et vitale : produire pour fournir aliments, biomatériaux et bioénergies à une population croissante. L’agriculture française doit également faire valoir son rôle clé dans le stockage naturel du carbone et la préservation de la biodiversité. Le tout en s’adaptant aux événements climatiques extrêmes en cours et futurs qui l’affectent en premier lieu : hausse des températures, gel, sécheresse, inondations, grêle, tempêtes … Par quelles pratiques ? Par quels moyens de déploiement ? Dans quels cadres administratif et financier ? C’est ce qu’explore cette étude s’appuyant sur les réflexions un groupe d’experts et de scientifiques multidisciplinaires, mais également sur plus d’une trentaine d’entretiens réalisés avec des acteurs économiques, ainsi qu’un travail de comparaison réalisé sur plus de 80 labels et dispositifs d’atténuation en France et dans le monde.

Activer des leviers bien identifiés

Si l’agriculture respecte globalement son budget carbone sectoriel assigné par la Stratégie Nationale Bas Carbone 1 (SNBC1), cette baisse reste insuffisante et la décarbonation des activités agricoles doit accélérer pour respecter les seuils proposés par la SNBC2 (réduction de 46 % des émissions de GES à l’horizon 2050 par rapport à 1990). Quatre leviers majeurs sont identifiés et éprouvés : la réduction et l’optimisation des intrants (énergie, engrais de synthèse, alimentation animale importée..) ; l’agroécologie en améliorant les pratiques culturales et les cycles biologiques pour limiter les pertes de carbone et d’azote dans l’eau et l’air ; le développement de technologies culturales et d’alimentation des cheptels (additifs pour limiter les fermentations entériques des ruminants par exemple) ; et enfin le développement des bioénergies et des énergies renouvelables pour remplacer les énergies fossiles.

Le rapport cite aussi des leviers plus globaux comme « la diminution et la répartition géographique des cheptels sur le territoire et l’évolution des modes d’élevage », sans toutefois expliquer comment l’on combine cette orientation avec l’agroécologie et la préservation des prairies qui, l’une comme l’autre, ne peuvent se passer d’élevage.

L’agriculture de conservation est citée comme efficiente sur plusieurs volets clés, mais n’est mise en œuvre que par 2 % des agriculteurs français (chiffre 2017) et les produits qui en sont issus ne sont pas identifiés du consommateur. Le rapport souligne en outre que toute démarche se réclamant de l’agroécologie devrait « systématiquement embarquer concomitamment les questions liées au climat, la biodiversité, les ressources eau et sol en considérant pour ces dernières à la fois leur disponibilité et leur qualité ».

Un marché du carbone à développer, des freins à lever

Des outils de diagnostic comme CAP’2ER en élevage se diffusent, avec des incitations au déploiement, via le plan de relance et le Label Bas Carbone permettant de certifier des réductions d’émission et de les valoriser sur le marché volontaire du carbone. Reste que ce dispositif, sur lequel la France a pourtant été fer de lance, se déploie beaucoup plus lentement dans le secteur agricole que dans le secteur forestier. Cela s’explique d’abord par un manque d’information, mais aussi par une certaine méfiance de la part des agriculteurs quant au retour sur investissements liés à la mise en place de pratiques plus coûteuses.

En outre, le montage administratif est complexe et le prix du carbone reste relativement bas sur le marché mondialisé du carbone volontaire. La demande se développe encore lentement et certaines règles financières et comptables imposées par le Label Bas Carbone, comme l’impossibilité de déclarer dans leur bilan réglementaire GES les actions de stockage réalisées avec leurs fournisseurs ou la non-cessibilité des crédits carbone, freinent les entreprises.

Par ailleurs, c’est un marché qui nécessite de la patience : le résultat des financements ne sont visibles qu’après quelques mois, voire années.

Enfin, le cadre politique global n’est pas suffisamment cohérent et incitatif pour développer ce type de dispositif. La PAC devrait ainsi intégrer le soutien aux pratiques permettant le stockage ou la réduction d’émissions de carbone et à l’inverse pénaliser les pratiques non stockeuses ou émettrices (comme l’utilisation d’engrais de synthèse).

Combiner les leviers pour massifier les dispositifs d’atténuation

L’étude explore trois scénarios qui mènent à un ensemble de recommandations communes. La première consiste à former et sensibiliser massivement – notamment sur le fonctionnement du cycle du carbone et de l’azote – l’ensemble des acteurs agricoles (exploitants, conseillers, étudiants), mais aussi les filières agroalimentaires et les consommateurs. En effet, le développement de l’écoconception en aval des chaînes de production nécessitera de sourcer des produits agricoles bas carbone, alors mieux valorisés. Si cette meilleure valorisation du produit s’accompagne de crédits carbone bien marketés auprès des acheteurs (proximité, co-bénéfices environnementaux ou sociaux), l’incitation sera double pour les agriculteurs. En complément, la levée des freins identifiés autour du Label Bas Carbone est indispensable pour massifier le financement par le secteur privé et les fonds d’investissements. Une autre recommandation forte est de s’appuyer sur des réglementations, françaises et européennes, à la fois incitatrices (fiscalité avantageuse) et contraignantes (PAC, conditionnalité de certains dispositifs fiscaux ou subventions, publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, taxonomie qui guide les investisseurs vers les activités les plus vertueuses).

Pour les auteurs, la présidence actuelle de la France à l’Union européenne et le Green Deal constituent une occasion unique de développer les synergies entre les différentes politiques publiques en lien avec la nouvelle PAC.

Source : Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation

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