Concilier nutrition et climat, un enjeu qui nécessite une analyse objective et une vraie réflexion de fond (Article d’analyse)

Le 20 février 2024 le Réseau Action Climat et la Société Française de Nutrition ont publié un rapport intitulé « Comment concilier nutrition et climat ? Pour la prise en compte des enjeux environnementaux dans le Programme National Nutrition Santé ». Après un état des lieux sur les liens entre alimentation et santé, une étude des régimes alimentaires proposés par quelques scénarios prospectifs et un tour d’horizon de la prise en compte de l’environnement dans les recommandations d’autres pays, les auteurs proposent une modélisation de « régimes compatibles avec les enjeux nutritionnels et environnementaux, avec deux fois moins de viande qu’aujourd’hui ». Une position qui relève d’un réel parti pris et qu’il convient de ne pas généraliser car, si le régime proposé est présenté « comme compatible avec la réduction de l’impact carbone », sur le plan alimentaire, il paraît plutôt incompatible avec les préférences et besoins nutritionnels des différents groupes de population, ainsi qu’avec les réalités de terrain.

Alors que le gouvernement est en train d’élaborer sa Stratégie Nationale pour l’Alimentation, la Nutrition et le Climat (SNANC), le Réseau Action Climat (RAC) et la Société Française de Nutrition (SFN) ont conduit une étude visant à mettre en évidence la nécessité d’actualiser les recommandations alimentaires du Programme National Nutrition Santé (PNNS), afin d’y inclure les enjeux environnementaux liés à l’alimentation. Un exercice non sans risque, qui a conduit les auteurs à recommander une diminution de 50 % de la consommation de viande par rapport à la moyenne française actuelle, en s’appuyant sur un examen de la situation manquant de neutralité, avec des arguments environnementaux très à charge contre la viande et l’élevage et une analyse nutritionnelle parcellaire.

Pour l’environnement, quid de relocaliser les 30% d’importations de viande ?

Sur le plan environnemental, ce rapport omet totalement les services écosystémiques de l’élevage : quid de la préservation des prairies, de la biodiversité, de la complémentarité élevage-production végétale et du stockage carbone ? On sait en effet que les 13 millions d’hectares de prairies pâturées par les 27 millions de ruminants qui peuplent nos paysages français sont essentiels à la préservation de la biodiversité, à la richesse des sols et à la séquestration du carbone dans ces sols vivants. Or, aucune mention n’y est faite dans ce rapport de pourtant 180 pages. Quant à l’impact carbone de la viande, seul celui de la France est mis en avant alors que le rapport mentionne bien que plus de 30 % de la viande consommée en France en 2022 était importée. Dans ce contexte, le premier levier à considérer ne devrait-il pas plutôt être de relocaliser les 30 % d’importations de viande ? Choisir des viandes françaises issues de notre modèle d’élevage herbager durable, bien moins émettrices de gaz à effet de serre (GES) que les viandes importées selon la FAO, est une question de bon sens écologique. En outre, cette solution permettrait de maintenir notre tissu économique rural, notamment si elle est associée à la promotion d’un approvisionnement de proximité.

Une analyse peu étayée qui mène à une recommandation arbitraire

Sur le plan nutritionnel, il est fort regrettable que l’état des lieux de l’étude se contente de reprendre les données du rapport Anses 2016, dont certaines sont désormais obsolètes, comme le risque de cancer colorectal associé à la consommation de viande rouge qui a été clairement revu à la baisse depuis. Mais chose encore plus regrettable : c’est sur la base de l’augmentation de la consommation de volaille en France (que les auteurs attribuent à la recommandation actuelle du PNNS de privilégier la volaille aux autres viandes) que les auteurs préconisent de diviser par deux la consommation de l’ensemble des viandes, et plus particulièrement de la viande rouge. En outre, notons que, dans les modélisations citées, comme celles de l’Ademe, plusieurs scénarios de réduction de la consommation de viande allant de -10 % à -70 % sont proposés et étudiés sans qu’aucun ne soit privilégié. L’hypothèse de départ du « régime compatible » préconisant une division par deux de la consommation actuelle de viande relève donc avant tout d’un choix arbitraire des auteurs.

Des approximations dans les données citées

Pour tenter de justifier un tel régime, les auteurs comparent les consommations de viande dans différents pays et présentent la France comme une exception, sous-entendant que les quantités de viande recommandées y seraient plus élevées que dans le reste de l’Europe, quitte à faire des approximations. Ainsi, la figure 3 de la synthèse (Figure 3.2 du rapport complet) les quantités présentées pour certains autres pays sont minimisées. Par exemple, la Finlande recommande comme la France de ne pas dépasser 500 g de viande rouge par semaine, plus une dose de viande transformée mais, celle-ci n’étant pas précisée, elle n’est pas mentionnée sur la figure, qui donne donc une version tronquée de la réalité des chiffres.

Une modélisation non généralisable

Côté modélisation de l’alimentation, l’étude propose une optimisation de type populationnelle, c’est-à-dire que le régime proposé s’adresse à l’ensemble de la population. « Les résultats montrent qu’il est possible de réduire de 50 % la consommation de viande tout en satisfaisant l’adéquation nutritionnelle et sans avoir recours à des produits enrichis ou à des supplémentations », explique ainsi le rapport. Cependant, ce régime ne peut être généralisé aux populations particulières que sont les enfants et adolescents, les femmes enceintes et allaitantes, ou encore les personnes âgées, qui ont toutes des besoins nutritionnels spécifiques, notamment en fer et en protéines. Ainsi, même si l’étude précise que le régime répond aux besoins nutritionnels de la population adulte de moins de 65 ans, il est regrettable que le document n’alerte pas davantage sur ce point.

Manger des légumineuses chaque jour, est-ce souhaitable et réaliste ?

Et en pratique, ce régime est-il réaliste ? Pour compenser la moindre consommation de viande, le rapport préconise de « manger des légumineuses chaque jour (lentilles, pois chiches, haricots secs, etc.) ». Concrètement, deux diètes ont été modélisées pour viser un impact carbone réduit de 35 %, l’une incluant 3 produits laitiers (diète n°1) et l’autre 2 produits laitiers (diète n°2) par jour. Résultats, selon leurs calculs, la consommation actuelle de légumineuses devrait être multipliée par des facteurs 8 et 18, respectivement pour les diètes 1 et 2.  On peut donc légitimement s’interroger sur le réalisme d’un tel changement d’habitudes alimentaires face à une catégorie d’aliments offrant peu de praticité (difficultés de préparation, temps de cuisson…) et des freins à la consommation pour de nombreuses personnes pour des questions d’ordre organoleptique et/ou de tolérance intestinale. Sans oublier la question de l’accessibilité à de telles quantités de légumineuses : la France pourra-t-elle les produire ? Si oui, avec quelles conséquences en termes d’occupation des sols ? Sinon, quel sera l’impact environnemental des importations ? Et quelle sera la qualité des produits importés ? Des questions économiques et logistiques auxquelles peuvent s’en ajouter d’autres : par exemple, qui produira le lait des 3 produits laitiers de la diète 1, s’il y a deux fois moins de vaches en France ?

La biodisponibilité du fer, la grande oubliée

Pour finir notons qu’il est toujours surprenant de voir des experts envisager une réduction de la consommation de viande sans prendre en compte la biodisponibilité du fer dans l’estimation de la couverture des besoins sachant que, non seulement, le groupe « viandes, poissons, œufs » représente le premier vecteur des apports en fer chez l’adulte en France, mais aussi que le fer des produits animaux est largement plus biodisponible que celui des produits végétaux. En effet, le fer héminique, forme majoritaire de fer dans les viandes et poissons et notamment les viandes rouges, est au moins deux fois mieux absorbé (avec un coefficient d’absorption de 25 % en moyenne) que le fer non-héminique contenu dans les autres aliments, dont l’absorption est souvent très inférieure à 10 % et variable selon le régime alimentaire. De plus, l’absorption du fer non héminique est influencée par les autres constituants du régime, et notamment les facteurs antinutritionnels (phytates, fibres, polyphénols…) naturellement présents en grande quantité dans les légumineuses. De fait, les besoins en fer de la population française seront-ils couverts avec des apports en viande réduit de moitié et des apports en légumineuses 8 à 18 fois plus importants ? Rien n’est moins sûr…

Sources : Réseau Action Climat ; Société Française de Nutrition

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