Augmentation des décès et consommation de viande rouge : des estimations très discutables! (Article de synthèse)

Des chercheurs interrogent les dernières estimations du Global Disease Burden Study, un observatoire mondial de la mortalité, des maladies et des facteurs de risque associés. Ces estimations font état de 896 000 décès imputables à la consommation de viande rouge en 2019, contre 25 000 en 2017 ! A l’origine de cette augmentation spectaculaire ? Des changements méthodologiques dans la collecte et l’analyse des données, qui remettent en question la fiabilité des chiffres avancés.

Tolérance zéro pour la viande rouge. Tel est le message en filigrane derrière le dernier rapport du Global Disease Burden Study (GBD, voir encadré). Ce document fait état de 896 000 décès attribuables à la consommation de viande rouge non transformée en 2019, contre 25 000 en 2017. Outre la mortalité, le GBD a estimé les années de vie perdues ou vécues avec un handicap (DALY*), résultant de la consommation de viande rouge. Bilan : 24 millions de DALY en 2019, contre 1,3 million en 2017. En seulement deux ans, les estimations des décès liés à la consommation de viande rouge ont été multipliées par 36 et celles des DALY par 18.

Ces augmentations considérables ont interrogé les auteurs d’un article publié sur le site de la revue médicale The Lancet en février 2022. Passé au crible, le rapport 2019 du GBD présente également selon eux des disparités importantes avec les conclusions d’autres études publiées et validées par la communauté scientifique. Ainsi, d’après le GBD, une consommation modérée (50 g/j) de viande rouge est associée chez les 55-59 ans à une augmentation du risque d’AVC de 20 %, par rapport à une consommation nulle. Or, parmi neuf études citées en référence par les auteurs, une seule parvient à la même conclusion.

Questionner les sources des données

Comment expliquer la hausse des décès attribués à la consommation de viande rouge entre 2017 et 2019 ? Et les disparités avec d’autres études scientifiques ? Les auteurs avancent plusieurs explications.

Tout d’abord les données utilisées ne proviennent pas des mêmes sources. Dans les études précédentes, le GBD se basait sur des publications validées par la communauté scientifique et sur les travaux du Fonds mondial pour la recherche contre le cancer (FMRC). En 2019 en revanche, ses collaborateurs ont réalisé leurs propres examens des facteurs de risque alimentaire. Résultat : ils ont établi des corrélations entre consommation de viande rouge et diverses causes de mortalité ou de handicap, comme le cancer du sein, les AVC ou certaines maladies cardiaques… Avec des conclusions allant à l’encontre d’autres études scientifiques ou du FMRC**.

Non-respect des exigences relatives aux publications médicales

Autre explication mise en avant dans l’article : la modification du niveau minimum d’exposition au risque. Ce critère définit le seuil au-dessus duquel l’exposition à un facteur de risque est liée à des troubles sanitaires. Le rapport du GBD publié en 2017 avait fixé ce seuil à 22,5 g/j pour la viande rouge. En 2019 cette valeur a été ramenée à zéro. Dès lors, le moindre gramme de viande consommée a été considéré comme un facteur de risque sanitaire.

Pour les auteurs, le rapport du GBD 2019 ne respecte pas certaines exigences en matière de publications médicales. Ils déplorent ainsi l’absence de références précises aux sources utilisées et le manque de justification quant à la correction du niveau minimum d’exposition au risque. Enfin, ils s’interrogent : les estimations du GBD publiées en 2019 tiennent-elles compte de l’ensemble des effets nutritionnels de la viande rouge ? Riche en fer héminique et en protéines de bonne qualité, elle constitue un aliment de choix pour les personnes à risque d’anémie, de sarcopénie (fonte musculaire), ainsi que pour les femmes enceintes et les jeunes enfants.

Des répercussions inquiétantes

Les critiques émises à l’encontre de ce rapport sont préoccupantes. D’autant que les travaux du GBD font référence pour les chercheurs, institutions politiques et ONG du monde entier. Depuis sa publication en 2019, ce rapport a été cité par des centaines d’études scientifiques et par divers documents d’orientation des politiques publiques, dont la stratégie alimentaire du Royaume-Uni. Les instances sanitaires mondiales prônent actuellement une consommation modérée de viande rouge. Si le message venait à s’infléchir vers une tolérance zéro, certaines populations risqueraient d’en pâtir, particulièrement dans les pays en développement, pour ne citer que les conséquences nutritionnelles…

 * DALY : acronyme anglais pour Disability Adjusted Life Years. En français : années de vie corrigées par le handicap

** Selon ces données, il existerait juste un lien entre la consommation excessive de viande rouge et la survenue de diabète de type 2 et de cancer du côlon.

Qu’est-ce que le GBD ?
Le Global Burden of Diseases, Injuries, and Risk Factors Study (GBD) représente l’une des plus grandes collaborations scientifiques internationales. Des milliers de chercheurs contribuent à cet observatoire mondial de la santé. Géré par l’Institut de métrologie et d’évaluation sanitaire (Institut for Health Metrics and Evaluation) basé à Seattle, le GBD est financé en majeure partie par la Fondation Bill et Melinda Gates. Ses missions : fournir des indicateurs sanitaires fiables et impartiaux, étudier les effets de divers facteurs de risque sur la santé, évaluer les retombées des politiques sanitaires. Son public : des chercheurs, des organisations gouvernementales, des associations du monde entier. Les rapports du GBD sont disponibles en libre accès sur le site du Lancet.

Référence : Stanton AV, Leroy F, Elliott C, Mann N, Wall P, De Smet S. 36-fold higher estimate of deaths attributable to red meat intake in GBD 2019: is this reliable? Lancet. 2022 Apr 2; 399(10332):e23-e26.

Source : The Lancet

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