Affichage environnemental : quelle vision politique derrière les outils ? (Article d’analyse)

L’affichage environnemental alimentaire est en cours de développement en France. Si l’idée fait globalement consensus, des divergences de points de vue persistent sur le fond. Dans un rapport publié en octobre, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) propose d’éclairer les débats en reconnectant les outils méthodologiques aux visions politiques sous-jacentes.

 

Informer les consommateurs sur l’impact environnemental de leur alimentation à travers un affichage dédié, et ainsi orienter leurs choix vers une alimentation durable : dans l’idée, tout le monde est pour. Dans les faits, les débats sont vifs sur les outils méthodologiques à privilégier. Des visions politiques sous-jacentes se dessinent derrière ces différents outils, mais pas toujours clairement. L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) propose d’éclairer les débats en rendant plus explicites les modèles agri-alimentaires qui seraient portés par les différentes propositions d’affichage, notamment par l’analyse de cycle de vie (ACV), telle que construite actuellement.

Limites de l’ACV

L’ACV (voir encadré) constitue le socle des travaux actuels sur l’affichage environnemental. Sans remettre l’outil en cause, l’Iddri souligne deux limites « particulièrement importantes pour le débat sur l’affichage environnemental » : la mauvaise représentation de certains enjeux environnementaux (dégradation des terres, perte de biodiversité, impact des pesticides sur la santé humaine et les écosystèmes) et la faible valorisation des fonctions écosystémiques de l’agriculture (préservation de la biodiversité, qualité des sols, régulation de la ressource en eau, etc). Ces deux limites ont des « implications politiques puisque, en l’état, l’ACV a tendance à favoriser les systèmes agricoles intensifs et à ne pas valoriser les modes agroécologiques ». L’Iddri rappelle que cette situation a donné lieu à différentes critiques, notamment de la part des acteurs de l’agriculture biologique et de l’élevage extensif (lire le dernier communiqué d’Interbev à ce sujet).

L’enjeu clé du débat : quel modèle agricole souhaitons-nous pour demain ?

L’Iddri s’est ensuite intéressé aux « signaux » que l’ACV envoie aux consommateurs en termes d’évolution des régimes alimentaires. Les résultats ont été comparés aux « régimes cibles » de deux grands scénarios de transition agricole, portant chacun une vision différente de l’agriculture durable : la « vision agroécologique », qui soutient un modèle extensif, privilégiant notamment la complémentarité entre les cultures animales et végétales pour s’affranchir des engrais azotés ; et « la vision intensification durable », qui vise à concentrer la production agricole dans l’espace et dans le temps pour laisser de la place à la « nature brute », et repose notamment sur une diminution notable de la consommation des produits d’origine animale.   Pour la viande bovine, l’ACV s’inscrit dans une « vision intensification durable », décourageant bien plus la consommation (- 84%) que ne le ferait une « vision agroécologique » (-19%), car les externalités positives de l’élevage herbivore ne sont pas prises en compte, notamment leur capacité à valoriser des ressources fourragères (l’herbe).

De l’importance des indicateurs complémentaires et de leur pondération

L’Iddri a fait le même exercice avec deux propositions d’affichage environnemental étudiées dans le cadre de l’expérimentation en cours : le Planet-score et l’Eco-score. Comme l’ACV, ces deux méthodes incitent à la réduction des protéines d’origine animale, mais les signaux envoyés aux consommateurs orientent de manière différente la consommation des produits animaux. « Ces divergences sont liées à des limites techniques et scientifiques, mais aussi à des visions différentes de ce qu’est un système agricole durable, [chaque outil méthodologique] ayant une priorisation différente des enjeux environnementaux ». Le choix des indicateurs complémentaires et de leur pondération est dès lors primordial pour orienter vers l’un ou l’autre des modèles de transition. Globalement, le Planet-score valorise davantage les pratiques agro-écologiques. La viande bovine bio ou issue de systèmes herbagers est ainsi beaucoup mieux notée par Planet-score (B) que par Eco-score (D ou E).

« La construction d’un indicateur d’affichage environnemental oblige à trancher entre différentes orientations stratégiques – dans la mesure où les choix méthodologiques vont implicitement privilégier certaines options plutôt que d’autres –, et donc, in fine, à révéler un modèle agri-alimentaire durable. C’est d’ailleurs cet aspect qui rend le débat sur l’affichage environnemental si complexe : au-delà des difficultés techniques et méthodologiques, ce qui importe est bien de savoir quel chemin de transition nous voulons prendre », concluent les auteurs.

Qu’est-ce que l’ACV ?

L’ACV (analyse de cycle de vie) est un cadre conceptuel pour l’évaluation environnementale des biens et services qui fait l’objet d’une norme (ISO, 2006). A l’origine développée pour la production industrielle, pour raisonner la performance environnementale en termes de volume produit, cette approche méthodologique est aujourd’hui appliquée aux domaines agricoles et alimentaires. Il s’agit d’une approche à l’échelle du cycle de vie (« du berceau à la tombe ») et multicritère (émissions de GES, acidification des sols, écotoxicité aquatique, destruction de la couche d’ozone, consommation d’énergie, épuisement des ressources en eau, épuisement des ressources naturelles, etc.). Dans une note de mai 2020, l’Institut de l’élevage en rappelle les intérêts et limites dans le cadre des produits de l’élevage herbivore.

Pour en savoir plus : Affichage environnemental alimentaire : révéler les visions pour construire un compromis politique.

Source : IDDRI.

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