Quelles perspectives pour l’élevage européen en 2032 selon la DG AGRI ? (Article d’analyse)

Dans son dernier rapport « Eu Agricultural Outlook For Markets, Income And Environment » publié le 9 décembre 2022, La Direction générale de l’agriculture et du développement rural (DG AGRI) de la Commission européenne projette l’agriculture européenne sur les dix prochaines années. Dans la balance pour cette vision macroéconomique, outre les politiques européennes en place, s’intègrent de nouveaux paramètres : un contexte post-covid et une guerre en Europe, tous deux responsables d’un renchérissement de l’énergie comme des matières premières, ainsi que d’effets de plus en plus marqués du changement climatique. Dans cette projection, l’élevage européen et la consommation de produits animaux stagnent voire diminuent, et la viande est produite dans des systèmes plus autonomes, plus extensifs et moins carbonés. Ailleurs dans le monde, la consommation de viande continue d’augmenter grâce à l’augmentation des niveaux de vie. Un scénario dit environnemental est simulé, avec une réduction contrainte du cheptel européen, et les impacts en sont évalués.

Pour ce travail, la Commission Européenne a intégré les tendances générales qu’elle considère comme les plus plausibles : des prix de l’énergie revus à la hausse de manière significative suite aux sanctions prises par les pays européens contre la Russie ; une inflation galopante à cause du coût de l’énergie et des matières premières ; des ruptures dans le commerce international d’abord liées au Covid puis à la guerre en Ukraine ; un euro faible par rapport au dollar impliquant un regain de compétitivité sur les exportations mais des intrants importés qui deviennent plus chers. Ce travail inclut aussi les évolutions déjà planifiées des politiques européennes (notamment agricoles – « Farm to Fork » – et environnementales) : un modèle de production plus durable, moins dépendant des énergies fossiles et des intrants, et une évolution des habitudes de consommation alimentaire européenne (moindre consommation de viande de bœuf et de porc). Sur le commerce extérieur, seuls les accords existants de libre échange ont été intégrés. La projection de l’évolution de la productivité agricole a naturellement pris en compte les impacts du changement climatique et les effets des politiques de réduction des produits phytosanitaires et des engrais de synthèse conduisant à une baisse de rendements des cultures. D’après le rapport, ces tendances conduisent à un système agroalimentaire assurant la sécurité alimentaire d’une manière plus durable.

Quelle évolution supposée de la consommation de viande ?

La consommation mondiale de viande devrait continuer à augmenter. L’UE n’en profitera que dans une mesure limitée, principalement pour la viande de volaille. Car globalement, la durabilité jouera un rôle de plus en plus important sur les marchés de la viande au sein de l’UE : les préoccupations des consommateurs concernant l’environnement et leur santé, ainsi que la recherche de praticité, entraîneront une légère baisse à 66 kg par habitant d’ici 2032 (-1,5 kg par habitant par rapport à 2022).

La composition du panier devrait également changer, avec une réduction plus significative de la viande de bœuf (-0,8 kg par habitant d’ici 2032) et une substitution de la viande de porc (-1,3 kg par habitant) par la volaille. Conséquence du déclin du cheptel bovin de l’UE (- 9,1 %), la production de viande bovine devrait ainsi diminuer. Les possibilités d’exportation de viande pourraient s’améliorer à moyen terme, mais elles seraient compensées par un déclin des exportations d’animaux vivants dû à une concurrence accrue et à des préoccupations relatives au bien-être des animaux dans les transports longue distance. La production européenne de viandes ovine et caprine devrait quant à elle augmenter légèrement de 0,2 % par an et la consommation rester stable à 1,3 kg par habitant.

Scénarios d’évolution du cheptel

Dans un travail de scénarisation, les auteurs ont également modélisé un seuil maximum de chargement allant de 1,4 à 2 UGB (Unité Gros Bovin) /ha avec, soit une redistribution des têtes de bétail vers des régions moins chargées, soit aucune redistribution conduisant à une baisse globale du cheptel. Certains scénarios se combinaient également avec l’usage de l’additif 3NOP (3-nitroxypropanol), récemment autorisé pour les vaches laitières et les animaux reproducteurs. Cet additif permet en moyenne une réduction de 30 % du méthane entérique. D’après ces scénarios, le cheptel européen baisserait de 3 à 16 % selon les options, avec une baisse corrélée de la production de viande et, en premier lieu, des viandes de porc, bœuf et mouton, secteurs de production offrant les marges les plus faibles. En parallèle, la production céréalière diminuerait également du fait d’une moindre demande pour l’alimentation animale. Dans ces scénarios, la Surface Agricole Utile (SAU) totale devrait augmenter de 2 % au maximum, soit 3,7 millions d’hectares, par une extensification de la production animale (hausse de la surface en prairies permanentes pour ne pas dépasser le chargement fixé), mais aussi une extensification de la production végétale. Enfin, côté fertilisation, le fumier apportant davantage de phosphore (P) et de potassium (K) que d’azote (N) et la quantité de fumier disponible diminuant avec la réduction du cheptel, les agriculteurs auront des besoins accrus en engrais de synthèse pour les apports en P et en K, tandis que l’utilisation d’engrais azotés tendrait à diminuer.

Une fuite de carbone qui annulerait les effets d’une baisse de production

Selon les hypothèses et les scénarios réalisés, cette baisse de la production entraînerait alors automatiquement des prix en hausse à la consommation, en particulier pour les œufs et le porc (jusqu’à + 20 %) ainsi que le bœuf (jusqu’à + 25 %). Pour le bœuf, cette hausse serait également liée à une limitation des importations par l’Europe. Cela aurait pour effet une baisse de la consommation – moindre que la baisse de la production due à une demande inélastique[1] – et un report de la consommation vers la volaille et les produits laitiers, ainsi qu’une substitution partielle par des protéines végétales. L’export serait drastiquement réduit pour les productions animales européennes, tandis qu’il augmenterait pour les cultures de céréales (moins utilisées en UE pour l’alimentation animale). A la production, les prix payés aux éleveurs seraient projetés à la hausse par une raréfaction du produit. Au niveau environnemental, la réduction du cheptel entraînerait une réduction des excédents de nitrates de 3 à 12 % en moyenne et jusqu’à – 50 % dans les régions d’Europe qui sont aujourd’hui les plus chargées. En parallèle, les émissions d’ammoniac pourraient être réduites de 3 à 11 %.

Sur le plan des gaz à effet de serre (GES), cette densité réduite induirait une réduction des émissions de méthane et de protoxyde d’azote de 49 % dans le scénario le plus contraignant. En revanche, entre 79 % et 84 % des émissions évitées seraient « annulées » par une augmentation des GES ailleurs dans le monde. Ce phénomène, appelé fuite de carbone, serait la conséquence d’une augmentation des importations liée à une baisse de production européenne plus forte que la baisse de consommation. Effet supplémentaire : les émissions par unité de produit en dehors de l’Europe seront plus importantes. Finalement, la plus grosse réduction de GES obtenue par le scénario le plus contraignant serait de moins de 2 %.

Source : Commission européenne

[1] L’inélasticité de la demande se réfère à certains biens pour lesquels les changements de prix n’affectent pas trop, voire pas du tout, la quantité demandée.

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