Quelles orientations pour des élevages de ruminants mieux adaptés au changement climatique ? (Article d’analyse)

Plus efficients et adaptables : tels sont les critères selon lesquels les ruminants du futur devront être sélectionnés d’après une récente étude scientifique publiée par une équipe internationale. Objectifs de ces nouvelles priorités : faire face aux difficultés liées au changement climatique et améliorer la durabilité des élevages.

Comment optimiser les systèmes d’élevages de ruminants pour faire face aux difficultés et contraintes liées au changement climatique ? Sur quelles stratégies génétiques et zootechniques bâtir la durabilité des élevages ?

Assurer la durabilité des systèmes d’élevage

La durabilité d’un système d’élevage repose en premier lieu sur la capacité à atteindre une bonne performance (profit global, quantité de lait ou de viande produite par hectare, ou par kg de matière sèche ingérée) au regard de contraintes pédoclimatiques, socio-économiques et culturelles, via la sélection d’animaux et de pratiques zootechniques appropriées. Mais, comme le suggère une récente étude internationale, impliquant des chercheurs d’Inrae et publiée dans la revue Reproduction, Fertility and Development, il est temps de revoir les priorités en termes de sélection génétique et de conduite d’élevage, afin de répondre aux contraintes liées au changement climatique.

Pour dresser un portrait-robot des élevages de ruminants « durables », les auteurs se sont appuyés sur les données relatives aux stratégies élaborées dans 12 fermes expérimentales à travers le monde, représentant différents systèmes d’élevage, parmi lesquels : la production laitière intensive aux Etats-Unis, le pâturage extensif au Kenya ou intensif au Brésil, ou encore la production laitière et allaitante en France (fermes expérimentales de l’Inrae).

Dans chaque ferme expérimentale, les chercheurs ont listé et classé par ordre de priorité les caractéristiques clés à sélectionner chez le bétail pour assurer la durabilité de leur élevage, dans les conditions actuelles, et dans une perspective de changement climatique à moyen terme (+2°C d’ici 2050).

Ces caractéristiques ont été classées en 10 catégories : productivité (production laitière, gain moyen quotidien), qualité des produits, efficience (alimentaire, longévité), reproduction (fertilité, fécondité), facilité de mise-bas, qualités maternelles, maniabilité (docilité, morphologie de la mamelle, vitesse de traite), santé (résistance aux maladies et aux parasites), adaptabilité (résistance à la chaleur, polyvalence…), et environnement (émissions de gaz à effet de serre, efficacité hydrique…). L’importance de chaque caractéristique a été évaluée par une note de 1 (faible priorité) à 3 (haute priorité). Les notes des caractéristiques ont été additionnées pour donner une note globale et assigner une priorité relative à chaque catégorie.

Fixer des priorités

Sans surprise, les caractéristiques liées à la productivité arrivent actuellement en tête des priorités de sélection pour les différents systèmes bovins allaitants étudiés, suivies par la reproduction, les facilités de vêlages et les qualités maternelles. L’Inrae met aussi l’accent sur les vêlages non assistés, et la docilité des animaux (cette spécificité pouvant être liée aux cornes et au caractère impétueux des races allaitantes françaises, et au moindre équipement en structures de contention dans les élevages).

Dans une perspective de changement climatique à moyen terme, la plupart des fermes expérimentales étudiées opteraient pour une sélection priorisant les traits relatifs à l’environnement, l’adaptabilité et la santé, au détriment de la productivité, de la maniabilité, et des capacités reproductives. A rebours de cette tendance, l’Inrae prioriserait les traits liés à l’efficience en vue du déclin de la production fourragère et de la qualité nutritive des prairies.

Comme en élevage allaitant, les traits liés à la productivité constituent actuellement une priorité des fermes laitières étudiées, avec toutefois de fortes variations entre les structures. Ainsi, la ferme laitière expérimentale de l’Inrae priorise les caractéristiques relatives à la qualité des produits et la reproduction, tandis que la ferme néozélandaise met l’accent sur les performances et l’efficience alimentaire. Dans une perspective de changement climatique, c’est la catégorie environnement qui se place généralement en tête des priorités de sélection, suivie par l’adaptabilité et la santé, au détriment de la productivité, de la qualité des produits et de l’efficience. A nouveau, l’Inrae montre un profil légèrement différent, privilégiant une sélection basée sur la reproduction, l’efficience, l’adaptabilité, et la maniabilité.

En système ovin, la sélection de traits relatifs à la productivité (vitesse de croissance, durée de finition…) constitue actuellement la priorité des élevages des zones tempérées, alors que les fermes expérimentales situées en régions chaudes ou arides privilégient les animaux résistants aux maladies et aux parasites. Dans une perspective de changement climatique à moyen terme, la sélection des animaux sur leur adaptabilité passerait au premier plan, suivie par l’efficience et la santé.

Des orientations nouvelles en matière d’alimentation et de commercialisation

Couplée à ces nouvelles orientations en matière de sélection génétique, la mise en œuvre de stratégies alimentaires optimisées renforcerait encore la durabilité des élevages.

Des systèmes intégrant élevage et rotation de cultures, dont des surfaces enherbées destinées à l’alimentation du bétail, permettraient d’obtenir des bénéfices mutuels : amélioration de la qualité des sols, réduction du recours aux engrais de synthèse, autonomie alimentaire, etc. Leur mise en œuvre s’appuierait sur la capacité unique des ruminants à convertir de la biomasse non comestible (fourrages produits à partir de terres non arables, sous-produits de l’industrie agroalimentaire) en aliments de haute qualité nutritionnelle. Les céréales seraient réservées à la consommation humaine, afin de préserver la sécurité alimentaire sans augmenter les surfaces de terres cultivées. Autre atout durabilité de ces systèmes intégrés : la neutralité carbone, les émissions de gaz à effet de serre des ruminants nourris exclusivement sur des pâturages bien gérés étant compensées par la séquestration de carbone dans les sols des prairies.

Par ailleurs, face à l’augmentation attendue des températures moyennes et de l’occurrence de phénomènes climatiques extrêmes, les chercheurs imaginent différentes solutions : distribution nocturne des rations en Australie ; utilisation d’additifs alimentaires diminuant la production de méthane entérique et recours à des espèces végétales résistantes à la sécheresse ou aux inondations en Irlande ; maximisation du recours au pâturage et de la production de foin à partir des prairies temporaires et permanentes en France en ayant moins recours à l’ensilage…

Des changements de stratégie commerciale, visant à augmenter les ventes d’animaux sur pied ou de leurs produits avant les périodes climatiques extrêmes (sécheresse, froid…) s’avèreraient également bénéfiques.

Durabilité des élevages : un compromis nécessaire

Bien que le bénéfice économique d’une sélection axée sur des traits relatifs à l’impact écologique ou à l’adaptabilité du bétail reste difficilement quantifiable, la productivité ne peut plus constituer le seul moteur de la sélection génétique en élevage de ruminants. Dans le contexte actuel et en vue des futurs bouleversements climatiques, les préconisations seraient :

  • de tirer profit des ressources animales et végétales locales et donc déjà adaptées à leur environnement,
  • de sélectionner des animaux efficients, adaptables et résistants aux maladies,
  • et d’élaborer des stratégies alimentaires et commerciales favorisant l’autonomie et la résilience des élevages.

Pour conclure, penser la durabilité des élevages nécessitera donc de redéfinir la place des ruminants dans des systèmes alimentaires qui optimiseront l’usage des ressources locales, protégeront l’environnement et assureront la sécurité alimentaire d’une population grandissante.

L’élevage durable de ruminants : un double défi pour l’avenir

L’élevage de ruminants possède de nombreuses vertus : production d’aliments de haute qualité nutritionnelle et riches en énergie, valorisation de terres non arables, fertilisation des sols. Dans de nombreux pays, il représente aussi un outil de capitalisation, révélateur de statut social. Malgré une grande diversité à l’échelle planétaire, les systèmes d’élevage de ruminants sont actuellement confrontés à des problématiques communes : l’augmentation des besoins en protéines animales d’une population mondiale en expansion d’une part, le changement climatique et la gestion de ressources limitées d’autre part.

Sur ce second point, l’élevage de ruminants est régulièrement montré du doigt : compétition pour les ressources arables et hydriques, émissions de gaz à effet de serre (GES), faible efficacité alimentaire (définie par le rapport entre quantité de nourriture ingérée et produite). Tenu en partie pour contributeur notable au changement climatique, le secteur en subit pourtant aussi largement les conséquences : précipitations irrégulières mettant en péril les ressources fourragères, baisses de performances liées au stress thermique, extension des maladies infectieuses, etc.

Dans un futur proche, l’élevage de ruminants devra donc relever le double défi de la durabilité : maintenir un bon niveau de performances en dépit des contraintes climatiques, tout en limitant son impact environnemental.

Référence : Jordana Rivero M. et al. Key traits for ruminant livestock across diverse production systems in the context of climate change: perspectives from a global platform of research farms. Reproduction, Fertility and Development. 2021, 33, 1–19. doi : 10.1071/RD20205.

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