« Protéines végétales et animales : quel équilibre pour une alimentation durable ? Regards croisés entre un nutritionniste, un agronome et un agriculteur » (Symposium Interbev-Terres Univia aux JFN 2020) (Synthèse)

A l’occasion des Journées Francophones de Nutrition qui se sont déroulées du 25 au 27 novembre 2020 dans un format 100 % digital, INTERBEV et Terres Univia se sont associés pour organiser un symposium sur le sujet des protéines végétales et animales qui suscite aujourd’hui bien des débats autour de positions parfois scientifiques et souvent passionnées. L ’augmentation de la demande en aliments sources de protéines alimentaires au niveau mondial questionne en effet l’équilibre des systèmes occidentaux. Dans la plupart des pays développés, les protéines animales représentent entre 65 % et 70 % de l’apport protéique alimentaire total. Les recommandations nutritionnelles appellent à un rééquilibrage des sources dans le cadre d’un régime alimentaire diversifié, sans exclusion de catégories d’aliments.

L’objectif du symposium était d’apporter un nouvel éclairage, en rappelant ce qu’il en est des besoins, consommations et critères de qualité des protéines en tant que nutriments, puis en passant aux aliments végétaux ou animaux  à l’origine de ces protéines et à leur production agricole. Au-delà, des différences de teneurs et de qualité des protéines apportées par les aliments végétaux ou animaux, il faut aussi considérer leurs autres composantes nutritionnelles pour garantir un apport équilibré en vitamines, minéraux, fibres, etc. Et l’importance de cette complémentarité ne se limite pas à l’assiette ! Dès le stade de la production agricole, l’équilibre et les interactions entre les productions végétales et animales est garant de durabilité. La complémentarité entre les espèces constitue le socle de l’agroécologie.

QUELLES SPÉCIFICITÉS ET COMPLÉMENTARITÉS NUTRITIONNELLES DES ALIMENTS SOURCES DE PROTÉINES VÉGÉTALES ET ANIMALES ? Didier Rémond directeur adjoint de l’unité de nutrition humaine de l’INRAe, Clermont-Ferrand

« Nous devons adopter une approche pragmatique sur la question de l’équilibre protéique alimentaire. Aujourd’hui, le débat est trop polarisé sur les extrêmes. Tout est une question de curseur, en prenant en compte les problèmes de santé à long terme et en considérant l’ensemble des individus dont les besoins et comportements diffèrent. L’intérêt des légumes secs est reconnu nutritionnellement, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille réduire trop drastiquement ou arrêter de consommer de la viande ou du poisson. Sans poisson, comment trouver l’apport en acides gras polyinsaturés oméga 3 à longues chaînes ? Sans viande, comment garantir les quantités nécessaires de fer héminique et de zinc ? Rééquilibrer le ratio entre les protéines animales et végétales, et diversifier notre alimentation permettra de couvrir naturellement l’ensemble de nos besoins nutritionnels, et ceci avec des consommations modérées permettant de limiter les risques pour la santé ».

Les besoins et consommations de protéines en France

La référence nutritionnelle pour la population (RNP) est de 0.8 g de protéines de bonne qualité par kilo de poids corporel et par jour, si les besoins énergétiques sont couverts. Pour les personnes âgées, de plus de 65 ans, la RNP est plus élevée : 1g/kg de poids corporel/jour et elle augmente encore en cas de risque de dénutrition.

Ces RNP pour les protéines ne représentent pas une valeur cible mais un apport de sécurité. Contrairement à ce que l’on entend souvent dire, les Français ne mangent pas trop de protéines dans la mesure où l’on est loin du seuil d’apports élevé et qu’il n’y a pas de risques pour la santé en revanche ils en mangent plus que strictement nécessaire.

Enfin, il faut savoir que ces ses recommandations sont données pour des apports en protéines de bonne qualité.

Qu’entend-t-on par des protéines de bonne qualité ?  

La qualité d’une protéine est en premier lieu évaluée par sa capacité à couvrir les besoins de l’organisme en chacun des acides aminés indispensables. La teneur et l’équilibre en acides aminés indispensables est plus favorable dans les produits animaux.

L’autre critère de qualité, la digestibilité, est également très bonne pour toutes les protéines animales (90 à 97 %). Celle des protéines végétales est très variable (60 à 95 %) selon les sources végétales et selon les modalités de transformation.

Si l’on considère le « DIAAS », score de qualité protéique préconisé par la FAO, celui des protéines de bœuf, de même que des autres protéines animales (œuf, lait, poison) est très bon, systématiquement supérieur à 100 %, alors que celui des protéines végétales est plus faible et variable d’une source à une autre : supérieur à 90 (proche de 100) pour le Tofu, mais autour de 30 pour le Seitan du fait de la lysine comme acide aminé limitant, aux environ de 40 pour un mélange « blé/pois chiche » et proche de 80 pour un mélange « Blé/pois chiches/quinoa).  C’est pourquoi, même en combinant les sources de protéines végétales (céréales et légumineuses) pour améliorer l’équilibre en acides aminés, il faudra en manger globalement plus, entre 10% et 25 %, pour satisfaire l’ensemble des besoins en acides aminés. Et dans ce cas, il est préférable que l’équilibre en acides aminés s’effectue à l’échelle du repas pour assurer une assimilation optimale, et non à la journée ou la semaine.

Au-delà des protéines, les aliments qui en sont sources

Outre les apports en protéines en elles-mêmes, l’équilibre entre les sources animales et végétales doit se raisonner au niveau du régime alimentaire car ces aliments apportent de part et d’autre, différents macro et micronutriments.

Deux nutriments ne se retrouvent que dans les produits animaux : la vitamine B12 (dans tous) et le DHA (dans les poissons gras). En dehors de cela et de leur teneur élevée et équilibrée en acides aminés indispensables, l’intérêt des aliments animaux repose plus spécifiquement sur l’apport en calcium bien assimilable pour le lait, et pour l’apport de fer (héminique), de zinc, de sélénium, très bien assimilables également pour les produits carnés. En ce qui concerne les apports propres aux végétaux, il s’agit notamment des fibres, des glucides complexes et de plusieurs phytomicronutriments aux propriétés bénéfiques pour la santé.

C’est en raison de cette complémentarité nutritionnelle entre les aliments que toutes les catégories sont représentées dans les recommandations du PNNS.

Pour bien des aspects, la présence de viande en quantité modérée permet d’améliorer la qualité de l’alimentation. Par ailleurs, le rééquilibrage entre les sources de protéines aurait, de nombreux bénéfices à s’appuyer sur une augmentation de la consommation de graines de légumineuses qui est, à l’heure actuelle, très limitée en France.

ENTRE ANIMAL ET VÉGÉTAL, UNE VRAIE COMPLÉMENTARITÉ AGROÉCOLOGIQUE !  Jean-Louis PEYRAUD, directeur scientifique adjoint agriculture de l’INRAe

« Nous devons repenser nos systèmes alimentaires en recouplant l’animal et le végétal. Bien sûr, les protéines animales doivent et peuvent être plus durables. Mais nous avons peut-être surestimé leur impact, notamment en ce qui concerne le climat et la concurrence alimentaire. Le méthane issu de la rumination n’est pas responsable du changement climatique : le nombre de ruminants était bien plus important au 19e siècle que maintenant. Sur le plan de l’alimentation, l’élevage n’entre pas toujours en compétition avec l’Homme, d’autant plus lorsqu’il s’agit des ruminants qui valorisent l’herbe. Les protéagineux sont une clef de l’équilibre, végétal comme animal, en s’intégrant dans les rotations, en captant l’azote et en fournissant des produits et coproduits de qualité pour l’alimentation animale. Il existe certes une compétition pour les surfaces utilisées entre les productions animales et végétales. Mais nous avons besoin des prairies et des surfaces valorisées par les ruminants pour relever d’autres défis de durabilité, comme l’atténuation du changement climatique grâce au stockage de carbone par exemple, ou encore la biodiversité ».

La question climatique

L’élevage est un contributeur au réchauffement du climat, avec 2/3 des émissions agricoles, mais aussi un acteur de la lutte contre le changement climatique, notamment avec le stockage de carbone dans les prairies et les haies. L’impact climatique de la viande a peut-être été surestimé car entre 20 et 60 % de l’empreinte de la viande concerne l’herbe et le stockage de carbone. De plus, 87 % de l’impact environnemental est attribué à la viande alors que d’autres produits sont issus de la découpe de l’animal : os, graisse, cuir, etc.

Les services rendus par ces productions pèsent dans la balance

La culture de légumineuses est un axe central de la transition agroécologique : équilibre alimentaire, autonomie protéique, captage de l’azote atmosphérique et économie d’énergie.

Les animaux en général valorisent toutes les parties des végétaux non consommables par l’Homme pour un grain de blé, seul 25 % est utilisable en alimentation humaine, l’élevage valorise la partie non consommable.

L’élevage de ruminants valorise des terres moins fertiles que celles dédiées aux cultures et assure la production de services écosystémiques : stockage carbone dans les prairies, biodiversité, protection incendie, etc. En utilisant des fourrages variés, cet élevage permet, en plaine, de diversifier les rotations et l’usage des sols, avec des bénéfices pour la biodiversité, la réduction des pesticides et la fertilité des sols. En montagne ou autres contexte où les sols ne sont pas labourables, c’est la seule production alimentaire possible puisque seuls les ruminants sont capables de digérer l’herbe.

Culture et élevage : une synergie à développer pour construire des systèmes alimentaires plus durables

Les deux sont nécessaires pour une agriculture durable : l’élevage permet de nourrir le sol qui permet de nourrir les cultures qui nourrissent les hommes et les animaux avec la production d’aliments ; les animaux étant capables de manger beaucoup de biomasses différentes, participent à la diversité des rations.

Les avantages de ce système sont multiples : il contribue à la souveraineté alimentaire, à l’autonomie protéique, il réduit les pertes par le recyclage de toute la biomasse et aide à assurer une continuité dans le business model notamment des agriculteurs. Côté services environnementaux, ce couplage entre animal et végétal contribue à réduire les émissions de GES, à réduire les pesticides et l’utilisation d’engrais minéraux avec les fertilisants organiques issus des fumiers, des lisiers et avec les légumineuses. Cela améliore la fertilité des sols, la santé des écosystèmes et la biodiversité.

Ne pas rester dans une vision simpliste et étroite des systèmes agricoles, l’opposition végétal vs animal est une vision étriquée des enjeux.

DES SYNERGIES SUR MON EXPLOITATION Antoine CARRE éleveur et producteur de légumineuses en Bourgogne-FrancheComté

« Le système polyculture-élevage, qui associe cultures végétales et productions animales, est une garantie à la fois économique et environnementale pour mon exploitation agricole ».

« Mes bêtes sont au pâturage 6 à 8 mois de l’année. Grâce aux cultures de protéagineux, comme la luzerne et le trèfle, je suis quasiment autosuffisant en alimentation animale et je diminue mes achats d’engrais ainsi que de produits phytosanitaires. La culture de céréales dont je vends les grains, me permet de produire aussi de la paille et du foin pour mes animaux. En retour, l’utilisation de leurs déjections sous forme de fumier donne un fertilisant de qualité pour mes terres, en apportant de la matière organique».

« Pour contribuer aussi à la diminution des émissions de GES, on pratique énormément de semis directs, c’est à dire qu’on ne laboure plus, ce qui permet d’économiser en travail du sol donc en carburant et d’être encore plus efficients en captage au niveau des sols de l’azote apportés par les légumineuses et du carbone. »

« Grâce aux légumineuses et à l’élevage, je diminue mes achats d’aliments, d’engrais et de pesticides ! La complémentarité entre grandes cultures et élevage est bénéfique pour l’environnement, comme pour ma trésorerie. C’est un système plus résilient, un vrai gage d’équilibre agronomique et de bonne utilisation de mes terres en fonction de leur potentiel »

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