L’élevage augmente-t-il réellement les émissions de gaz à effet de serre ? (Article de synthèse)

S’appuyant sur des travaux de modélisation, un chercheur montre que les niveaux de référence, dits « naturels », d’émissions de gaz à effet de serre, c’est-à-dire celles issues des ruminants sauvages ou des termites susceptibles de remplacer les niches d’herbivores, sont comparables à ceux de l’élevage actuel. Des arguments qui, selon lui, laissent présager l’inefficacité des politiques environnementales ciblant le secteur de l’élevage (dont celles proposant des stratégies d’intensification aux dépens de l’élevage pastoral).
Des inquiétudes relatives aux émissions de méthane par les ruminants et à leurs effets sur le changement climatique sont régulièrement exprimées et relayées par les médias. Aux côtés de l’élevage industriel, l’élevage pastoral n’est pas épargné, et est même parfois considéré comme plus problématique : d’abord parce que les émissions de méthane augmentent avec les régimes riches en herbe, mais aussi car la production de viande ou de lait par animal est plus faible en élevage extensif, conduisant à un rapport plus élevé de méthane émis par kg de produit. Pour ces raisons, certaines recommandations vont jusqu’à préconiser la conversion des systèmes extensifs pastoraux en systèmes intensifs de production de monogastriques (poulets et porcs) nourris au grain.
Or, dans un article d’opinion publié dans la revue Viande & Produits carnés, le chercheur Pablo Manzano remet en question le fondement même des méthodes d’évaluation de l’impact de l’élevage sur le changement climatique. En effet, ces méthodes négligeraient un élément essentiel : la prise en compte d’un niveau de référence auquel comparer les émissions de gaz à effet de serre (GES) actuelles issues de l’élevage.
Niveau de référence : de quoi parle-t-on ?
Pour nous faire toucher du doigt cette notion de niveau de référence et tout en reconnaissant la difficulté à la définir, l’auteur illustre son propos à travers l’exemple de la biodiversité. Ainsi, s’il est courant de prendre comme référence le niveau de biodiversité lors de l’arrivée des colons européens dans des pays tels que les États-Unis ou la Nouvelle-Zélande (période des premières archives historiques), il s’agit d’un niveau tout à fait relatif, ne tenant pas compte des modifications antérieures engagées par les peuples autochtones. Quant au bassin méditerranéen, les modifications de biodiversité documentées y seraient si importantes et anciennes qu’il serait difficile aujourd’hui de distinguer les espèces indigènes de celles introduites par l’Homme.
Des niveaux naturels d’émissions de GES comparables aux niveaux actuels
Revenant à la question spécifique des émissions de GES, Pablo Manzano expose alors les conclusions de ses travaux de modélisation de divers scénarios, publiés dans Climate Research. Selon ces modèles, les paysages « naturels » – c’est-à-dire tels qu’on les envisage avant l’installation d’activités humaines comme l’élevage – seraient dominés par des herbivores : soit des bisons et des cervidés avant l’arrivée des Européens, soit des méga-herbivores, en Amérique du Nord ou en Sibérie avant leur disparition. Et d’après les modélisations effectuées, les émissions de GES dans ces paysages naturels seraient du même ordre de grandeur que celles aujourd’hui produites par l’ensemble du cheptel extensif et industriel. Les travaux ont aussi permis de modéliser l’effet d’une absence d’herbivores. « Sans les mammifères herbivores qui sont en compétition avec eux […], les termites [à l’origine de 4 % des émissions de méthane actuelles] multiplieraient leur nombre et donc leurs émissions de GES seraient fortement augmentées. »
Réorienter les politiques environnementales ?
Ainsi, pour le chercheur, les scénarios de référence « naturels » semblent conduire à des niveaux d’émissions de GES comparables à ceux issus des scénarios actuels d’élevage. Et de mettre en garde contre les recommandations actuelles visant le secteur de l’élevage, qui risqueraient d’être beaucoup moins efficaces qu’escompté et qui devraient donc « prendre en compte les niveaux de référence, se concentrer sur la réduction de l’utilisation intensive de combustibles fossiles et sur des stratégies de réduction du méthane ayant des bénéfices sociaux ».
Référence : Pablo Manzano. Lecture d’actualité : Niveaux de référence dans les systèmes d’élevage. Viandes & Produits Carnés. VPC-2021-3714.
À voir aussi
-
Environnement2 octobre 2025
Le continuum sol-plante-animal-homme : une alimentation plus saine grâce aux prairies (TRADUCTION)
Face aux préoccupations croissantes sur l’impact environnemental et sanitaire de la viande bovine, une équipe de chercheurs a comparé les systèmes de finition à l’herbe et aux grains dans le sud des États-Unis. Résultat : les pâturages présentent des sols plus riches en matière organique et minéraux, des plantes chargées en antioxydants, et une viande… -
Environnement2 octobre 2025
Pâturage régénératif : un levier pour restaurer la santé des sols et renforcer la durabilité des écosystèmes (TRADUCTION)
La santé des sols conditionne la productivité agricole et la résilience des écosystèmes, en particulier face aux défis d’une population mondiale croissante. Cette étude analyse l’effet des écorégions, de la saisonnalité et des modes de gestion du pâturage sur la qualité et la productivité des sols. Les résultats montrent que le pâturage régénératif favorise une… -
Environnement2 octobre 2025
Systèmes intégrés cultures–bétail–forêt : un levier pour améliorer la stabilité des sols et le stockage du carbone au Brésil (TRADUCTION)
En comparant sur le long terme différents modes d’usage des terres au Brésil, cette étude met en évidence le rôle clé des systèmes d’intégration cultures–bétail–forêt (SICBF) dans la séquestration du carbone organique du sol (COS) et la formation de macro-agrégats stables. Les résultats montrent que les SICBF, en rotation pâturée ou cultivée, offrent un potentiel…