L’antibiorésistance en questions

L’antibiorésistance représente un enjeu majeur de santé publique en France. En effet, la résistance aux antibiotiques remet en question l’efficacité des traitements contre les infections qui touchent l’Homme comme l’animal. A l’occasion de son colloque annuel consacré à cette problématique, l’Anses présente les résultats de ses deux rapports sur l’évolution nationale des résistances chez l’animal (rapport Résapath) et des ventes d’antibiotiques vétérinaires. Les informations recueillies dans le cadre de ce suivi national des ventes de médicaments sont des éléments indispensables, avec le suivi de la résistance bactérienne, permettant une évaluation des risques liés à l’antibiorésistance. Trois directeurs de l’Anses nous en disent plus sur les enjeux dans ce domaine : Jean-Pierre Orand, directeur de l’Agence nationale du médicament vétérinaire, Jean-Yves Madec, directeur scientifique en charge de l’Antibiorésistance et Gilles Salvat, directeur de la santé et du bien-être animal.

En 2016, l’objectif global de diminution de l’exposition animale aux antibiotiques a été atteint avec une réduction de 37% en 5 ans. Les résultats des ventes d’antibiotiques vétérinaires de 2017 confortent-ils ces progrès ?

Jean-Pierre Orand : Après le succès du 1er plan EcoAntibio, le nouveau plan 2017-2021 vise à maintenir dans la durée la tendance à la baisse de l’exposition des animaux aux antibiotiques. Cette exposition a diminué de 3,6% au cours de la dernière année. L’exposition aux antibiotiques dits d’importance critique a continué de diminuer en 2017 pour toutes les espèces, avec une baisse de 87,8% pour les Fluoroquinolones et de 94,2% pour les Céphalosporines de dernières générations par rapport à 2013. En 2017, l’exposition à la colistine a diminué de 48% par rapport à l’exposition moyenne pour les années 2014 et 2015. Toutes les parties prenantes doivent poursuivre leur mobilisation pour atteindre l’objectif de réduction de l’exposition à la colistine de 50% en 5 ans, fixé par le nouveau plan EcoAntibio d’ici 2021. Au travers de ces résultats pour 2017, il semble qu’il y ait un report limité des utilisations vers d’autres familles d’antibiotiques, mais un effet de seuil semble apparaître. Il sera particulièrement important de suivre dans les prochaines années ces modifications d’utilisation des antibiotiques et d’en évaluer les conséquences sur l’évolution de la résistance bactérienne.

En ce qui concerne l’évolution de la résistance, les résultats de la surveillance nationale du Résapath publiés aujourd’hui confirment-ils ces tendances ?

Jean-Yves Madec : Rappelons tout d’abord ce qu’est le Résapath : il collecte les données d’antibiogrammes des bactéries pathogènes isolées chez des animaux malades. Il peut ainsi suivre les évolutions de la résistance aux antibiotiques associées aux infections animales, détecter certaines émergences d’antibiorésistances et en caractériser les mécanismes moléculaires. Cette année encore, le réseau a enregistré une diminution de la résistance aux antibiotiques critiques, notamment celle des E. coli aux Céphalosporines de 3ème et 4ème générations. Comme depuis plusieurs années, ces tendances à la baisse sont encore observées dans tous les secteurs, parfois de façon importante, comme chez les bovins et les chiens, par exemple.

La tendance globale à la baisse ou à la stabilisation des dernières années se poursuit en 2017. Sur ces dix dernières années, la diminution de la résistance à la tétracycline dans les filières avicoles, et dans une moindre mesure dans la filière porcine, est sans doute le phénomène le plus marquant. D’autre part, sur la période 2011-2017, la proportion de souches multi-résistantes est en diminution significative dans toutes les espèces sauf chez les équidés pour lesquels on observe une augmentation sur les trois dernières années.

Ces résultats sont cohérents avec les diminutions importantes de l’exposition des animaux aux antibiotiques dans le cadre des plans EcoAntibio. Sur les cinq dernières années, la réduction de l’exposition des animaux aux antibiotiques a contribué à diminuer certains pourcentages de résistance chez les bactéries isolées d’animaux sains à l’abattoir. Le plan EcoAntibio 2 doit permettre de consolider cette réduction de la résistance vis-à-vis de l’ensemble des antibiotiques.

La France est le seul pays en Europe à disposer de ce réseau de surveillance des résistances, quel est le périmètre de son action ?

Jean-Yves Madec : En 36 ans de surveillance des bactéries pathogènes en France, ce réseau s’est imposé dans le paysage de l’antibiorésistance animale. Son périmètre d’action progresse chaque année avec plus de 70 laboratoires adhérents et plus de 56 000 antibiogrammes collectés dans toute la France. La qualité des données produites est le résultat d’une vigilance constante des acteurs à maîtriser les méthodes d’analyses, à collecter et transmettre les données produites et à en interpréter les résultats au regard des connaissances scientifiques les plus actuelles. Ces efforts sont donc ceux de tous et en premier lieu des laboratoires adhérents. Cet enjeu majeur qu’est l’évolution de l’antibiorésistance des bactéries animales et humaines nécessite une approche intégrée de toutes les médecines et le Résapath contribue à cette vision. Membre de l’Observatoire national de l’épidémiologie de la résistance bactérienne aux antibiotiques (ONERBA), le réseau est un point de jonction évident entre les données vétérinaires et médicales. En Europe, le Résapath piloté par l’Anses, constitue donc un modèle unique dans un contexte où de nombreux Etats membres envisagent la mise en place de dispositifs analogues pour le suivi de leurs plans nationaux. Dans ce sens, l’Anses à travers son réseau le Résapath, contribue à promouvoir ce modèle de surveillance aux résistances, dans le cadre de l’Action Conjointe Européenne (EU-JAMRAI) initiée en septembre 2017 sous la coordination de la France, et incluant un volet vétérinaire.

De façon plus globale, quelles sont vos recommandations pour préserver l’efficacité des traitements antibiotiques chez l’animal ?

Gilles Salvat : La dynamique pour l’utilisation prudente et responsable des antibiotiques en médecine vétérinaire doit être maintenue. Les actions menées par les éleveurs et les vétérinaires, comme la limitation de l’utilisation des Céphalosporines en filière porcine, des modules de formations destinés aux éleveurs, ou encore l’élaboration de guides de bonnes pratiques, accompagnées par le plan EcoAntibio 2017, ont permis d’atteindre les différents objectifs fixés. Il faut poursuivre les efforts dans cette dynamique, en continuant d’accompagner les éleveurs et les vétérinaires. Ce sont les objectifs du plan EcoAntibio 2 (2017-2021). La baisse du recours aux antibiotiques passera nécessairement par l’amélioration continue de la maîtrise sanitaire des élevages, le développement d’alternatives aux antibiotiques, l’étude de l’impact économique des mesures préconisées et par la meilleure connaissance de la composante sociologique du recours aux antibiotiques. En ce sens, les programmes de recherche de l’Anses résolument centrés vers le bien-être des animaux contribueront à l’atteinte de cet objectif.

Source : Anses.

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