La qualité des aliments d’origine animale analysée par l’Inrae (Article d’analyse)

Définir les critères et les déterminants de la qualité des aliments d’origine animale tout au long de leur chaîne d’élaboration : tel était l’objectif de l’expertise demandée à l’Inrae par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, dont les conclusions ont été rendues fin mai 2020.  

Le 29 mai dernier, l’Inrae a rendu publiques les conclusions de son expertise collective concernant la qualité des aliments d’origine animale produits et consommés en Europe. Cette expertise lui a été commandée par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation suite aux États généraux de l’Alimentation (EGA) et à la rédaction des plans des filières animales qui en ont découlé (2017).

Une vingtaine d’experts des sciences animales, sciences des aliments, sciences de la santé humaine et sciences économiques et sociales s’est ainsi attelée à rassembler et analyser un corpus de 3 500 références bibliographiques internationales pour répondre à une question : comment la qualité des aliments d’origine animale est-elle élaborée et modulée par les conditions d’élevage et de transformation ?

Sept grandes familles de propriétés constituent la qualité d’un produit

Première étape  : clarifier la notion de qualité. Selon l’Afnor, celle-ci se définit par « l’ensemble des propriétés qui confèrent à un produit l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés ou implicites d’un utilisateur ». S’appuyant sur cette définition, les experts ont identifié sept grandes familles de propriétés constitutives de la qualité d’un produit :

  1.  1/ les propriétés organoleptiques (couleur, texture…) ;
  2. 2/ les propriétés sanitaires (contamination microbiologique ou chimique, composés néoformés…) ;
  3. 3/ les propriétés nutritionnelles (composition, biodisponibilité…) ;
  4. 4/ les propriétés commerciales (poids, conformation de la carcasse…) ;
  5. 5/ les propriétés technologiques (aptitudes à la transformation, au tranchage…) ;
  6. 6/ les propriétés d’usage (facilité de stockage, emballage…) ;
  7. 7/ les propriétés d’image (perception du consommateur, éthique, impact environnemental, bien-être animal…).

 La qualité se construit tout au long de la chaîne d’élaboration des produits animaux

Quel que soit le type de propriétés qualitatives considérées, celles-ci dépendent de l’ensemble des étapes de la chaîne d’élaboration des produits animaux. Ainsi, les caractéristiques des animaux, les conditions d’élevage, de transport, d’abattage, de transformation, de conservation, de commercialisation, de préparation et enfin de consommation sont autant de déterminants capables de moduler la qualité des aliments d’origine animale.

Sans surprise, le mode d’élevage ressort comme un déterminant majeur des propriétés d’image ; en particulier, les consommateurs ont une image positive des élevages respectueux du bien-être animal.

L’alimentation reçue par l’animal conditionne quant à elle à la fois les propriétés nutritionnelles, organoleptiques, commerciales et technologiques des aliments. Le rapport s’arrête en particulier sur l’enrichissement de la ration des animaux en acides gras oméga 3, via l’herbe pâturée ou l’introduction de certaines huiles et graines (comme le lin). Une viande bovine produite à base d’herbe contient ainsi deux fois plus d’oméga 3 qu’une viande produite à partir de concentrés ; elle présente également moins d’acides gras saturés. L’alimentation à l’herbe tire aussi son épingle du jeu en favorisant d’autres propriétés, comme l’image, grâce à l’accès au plein air et à l’herbe pour les animaux, ou le goût, grâce à une flaveur plus typée.

Après l’alimentation, les phases de pré-abattage et d’abattage sont considérées comme cruciales pour plusieurs types de propriétés. Le rapport relève notamment qu’étant sources de stress, « des manquements lors du chargement ou de la mise à mort, en passant par le transport et l’attente, peuvent avoir des effets délétères sur les propriétés organoleptiques (par exemple, tendreté), et sur les propriétés technologiques (comme des pertes de rendement à la cuisson) ».

Les SIQO, à la croisée des différentes dimensions de la qualité

Parmi les facteurs de qualité, les SIQO (signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine) font l’objet d’une attention toute particulière. Les cinq signes officiels – AB (Agriculture Biologique), AOP (Appellation d’Origine Protégée), IGP (Indication Géographique Protégée), STG (Spécialité Traditionnelle Garantie) reconnus en Europe et LR (Label Rouge), spécificité française – apparaissent en effet « à la croisée des chemins » en permettant de concilier plusieurs dimensions qualitatives.

Si les propriétés d’image sont communes à tous les SIQO, chacun favorise ensuite des dimensions qualitatives spécifiques fonction de leur cahier des charges. Ainsi, alors que l’AB s’engage sur des propriétés sanitaires en utilisant des « procédés qui ne nuisent pas à l’environnement, à la santé humaine… » [1], d’autres sigles comme les AOP, IGP, STG garantissent des propriétés organoleptiques liées à la typicité et à la spécificité des produits.

L’exemple du cahier des charges Gros bovins Label Rouge illustre parfaitement en quoi les engagements pris tout au long de la chaîne d’élaboration – notamment sur la race, le pâturage, l’âge et les conditions d’abattage ou encore la durée de maturation – garantissent les qualités organoleptiques essentielles de la viande comme jutosité, tendreté, flaveur et couleur ainsi que des propriétés favorables à l’image (intérêt environnemental et bien-être animal).

Des dimensions qualitatives parfois en concurrence

Après ce tour d’horizon des déterminants des différentes propriétés qualitatives des produits animaux, l’expertise soulève une problématique majeure : le développement de certaines propriétés qualitatives se fait parfois au détriment des autres.

Ainsi, la recherche d’amélioration des propriétés commerciales (critères de poids, de rendement, d’aspect…), qui oriente fortement le choix du système de production, peut compromettre non seulement les propriétés organoleptiques des produits dérivés, mais aussi leur aptitude à la transformation.

Un moyen pour renforcer le poids des autres dimensions qualitatives face aux propriétés commerciales serait de les intégrer dans la détermination du prix de paiement à l’éleveur. C’est ce que réalise un système développé en Australie, qui, dès l’abattoir, donne à la viande bovine une note de qualité fonction des attentes des consommateurs ; une note utilisée à la fois pour le calcul du prix de paiement à l’éleveur et pour informer les consommateurs.

Autre exemple mis en lumière par l’expertise : une compétition entre propriétés nutritionnelles et organoleptiques concernant l’élevage biologique des agneaux d’herbe. En effet, les prairies des exploitations d’élevage en agriculture biologique sont souvent riches en légumineuses (en particulier en trèfle blanc) du fait de l’interdiction de l’apport d’azote de synthèse comme fertilisant. Si la consommation de légumineuses par les agneaux à l’herbe permet d’améliorer les propriétés nutritionnelles de la viande (naturellement enrichie en oméga 3), elle entraîne une diminution de la fermeté du gras de couverture et augmente les risques de défauts d’odeur et de flaveur de la viande, en lien avec l’augmentation de la teneur en scatol de la viande. Un compromis peut néanmoins être trouvé en terminant l’engraissement de l’agneau en bâtiment.

Une approche multicritère pour concilier les différentes dimensions de la qualité

Ces différents exemples révèlent que la prise en compte d’un seul critère de qualité ne suffit pas à améliorer la qualité des produits animaux. Pour finir de nous en convaincre, les experts présentent un cas d’école. Si l’on considère les émissions de gaz à effet de serre rapportées au poids de produit animal (EGES/kg produit), on constate un très fort impact environnemental de la production de viande de ruminant, filière bœuf extensif en tête. Mais lorsque ces émissions sont rapportées à la contribution du produit à la couverture des besoins nutritionnels (EGES/1 % des références nutritionnelles recommandées), la production de viande de bœuf devient l’une des moins émettrices. D’où la recommandation des experts de développer les approches multicritères, afin d’éviter les conclusions simplistes.

Enfin, l’expertise s’arrête sur la mise au point de systèmes de notation de la qualité, qui se heurte encore à des questions :  par exemple, faut-il proposer des indicateurs composites spécifiques pour rendre compte des différentes dimensions qualitatives (composition nutritionnelle, impact environnemental, degré de transformation…) ou amalgamer ces indicateurs dans un score global de qualité ? Quels que soient les systèmes de notation retenus, ils devront résulter d’un juste équilibre entre degré d’information et complexité.

Source : Qualité des aliments d’origine animale selon les conditions de production et transformation.

[1] Règlement CE 834/2007

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