Attribuer des impacts environnementaux aux services rendus par l’élevage (Article d’analyse)

Partant du constat que les méthodes d’évaluation environnementale actuelles ne prennent pas en compte la multifonctionnalité de l’élevage, une équipe de chercheurs suédois vient de publier dans le Journal of Environmental Management des résultats d’Analyse de Cycle de Vie (ACV) de la viande et du lait selon un nouveau prisme. Les impacts environnementaux (ici climatiques) ne sont plus attribués aux seuls produits mais également aux services écosystémiques rendus par l’élevage. Une clé de répartition économique basée sur les paiements compensatoires de ces services aux éleveurs a été utilisée. Cette méthode apporte une réponse à un écueil reconnu de l’ACV : celui de pousser les systèmes vers une production plus intensive. Elle permet aussi une vraie reconnaissance et, de fait, une préservation de ces services. Cette approche très attendue, entre autres, par la filière pourrait alimenter une communication vers les consommateurs et une prise de décision plus éclairées.

Il est désormais de notoriété publique que les produits animaux et notamment la viande issue de ruminants sont des aliments riches en nutriments mais ayant un coût environnemental conséquent. Les ruminants font partie des plus grands contributeurs du secteur agricole au réchauffement climatique[1], générant des émissions provenant principalement de la fermentation entérique, de la production d’aliments pour animaux (dont déforestation) et des effluents. Cependant, leurs systèmes de production sont aussi multifonctionnels, fournissant de manière variable des services écosystémiques autres que la production de nourriture. Les prairies valorisées par les ruminants sont ainsi associées au stockage du carbone et à la biodiversité contribuant notamment à la pollinisation. Les ruminants sont également indispensables à l’entretien des pâturages semi-naturels qui ne sont pas cultivés ni fertilisés autrement que par cette activité, et ces écosystèmes abritent de nombreuses espèces en voie de disparition. Ces services sont reconnus en déclin rapide par l’IPBES[2], nécessitant des actions urgentes et concertées pour inverser cette tendance.

Lors d’une ACV classique, la viande et le lait sont considérés comme les seuls produits valables. Les services écosystémiques fournis (voir encadré) eux sont ignorés, conduisant à favoriser des systèmes intensifs au détriment de ceux qui produisent et préservent ces services. Or, les résultats des ACV sont utilisés comme aide à la décision dans de nombreux domaines, depuis l’élaboration des politiques publiques jusqu’à l’étiquetage, en passant par la formulation des produits. Il est donc urgent de faire évoluer l’ACV pour intégrer les services écosystémiques.

  • Qu’entend-on par services écosystémiques ?
    Le Millenium Ecosystem Assessement (2005) définit les services écosystémiques comme les « bénéfices que les gens retirent des écosystèmes ».  Quatre catégories de services sont distinguées : les services d’approvisionnement, de régulation, de soutien, et les services culturels.
    Un inventaire des impacts classiques…L’équipe Suédoise a sélectionné 10 systèmes bovins lait et viande plus ou moins « extensifs » en s’intéressant particulièrement à certains indicateurs : certification bio ou conventionnel, présence de zones de protection naturelle, part des cultures versus prairies permanentes et temporaires, chargement (Unité Gros Bovin/ha), production de lait et de viande, part et période de pâturage, gestion des effluents…Les émissions de gaz à effet de serre de chaque système ont ensuite été calculées selon les normes internationales en intégrant :le méthane (CH4) provenant de la fermentation entérique,le CH4 et le protoxyde d’azote (N2O) provenant de la gestion du fumier,

    le N2O provenant des fumiers déposés par les animaux au pâturage,

    le dioxyde de carbone (CO2), le CH4 et le N2O provenant de la production d’aliments pour animaux, du transport, de la consommation d’énergie à la ferme et des produits achetés.

    Le stockage et déstockage de carbone issu de la production d’aliments du bétail sur l’exploitation comme des aliments achetés ont aussi été intégrés.

    Pour la viande bovine, les émissions varient ainsi de 16 à 39 kg d’équivalent CO2 par kg. La viande de systèmes allaitants a, sans surprise et conformément aux publications antérieures, un impact supérieur à celle de systèmes laitiers (dont une grosse partie des impacts sont répartis sur le lait) ; et les systèmes allaitants les plus extensifs un impact supérieur aux systèmes plus intensifs.

    …mais une répartition nouvelle et éclairante

    Différents travaux ont tenté d’intégrer les services environnementaux à l’évaluation de produits alimentaires. Un acteur suédois du secteur affiche ainsi de multiples indicateurs de durabilité (climat, biodiversité, fertilité des sols, eau, utilisation de pesticides, eutrophisation, bien-être animal et utilisation d’antibiotiques, conditions de travail, communauté locale, état de droit et traçabilité) dans un schéma en « toile d’araignée ». Si ce système a le mérite de présenter les différents aspects de la durabilité, il est complexe et rend le choix du consommateur comme du décideur difficile, l’obligeant à prioriser l’un ou l’autre des aspects.

    Le travail analysé ici vise justement à intégrer cette complexité dans la mécanique ACV afin d’arriver à un résultat unique sur le produit. Afin d’intégrer les services écosystémiques comme extrants du système de production, au même titre que la viande et le lait, les auteurs les ont évalués économiquement en fonction des paiements reçus par les agriculteurs au titre des mesures agroenvironnementales pour la préservation d’espaces ou d’espèces naturelles, ou encore pour la certification bio. Ils ont ensuite réparti les émissions de gaz à effet de serre selon la valeur de ces différents extrants (lait, viande, services écosystémiques).

    Selon cette approche, 1 à 48 % des impacts climatiques de la production de viande et 11 à 31 % de ceux associés à la production de lait sont alloués aux services écosystémiques. Ce sont les élevages allaitants les plus extensifs, utilisant moins d’intrants et ayant des taux de croissance et des chargements à l’hectare plus faibles, qui ont la plus grande part de leurs émissions allouées aux services écosystémiques : ce sont ainsi 10 à 17 kg d’équivalent CO2 par kg de viande, soit 23 à 48 % de l’impact, qui sont ‘soustraits’ à l’empreinte carbone de la viande. En résumé, les fermes allaitantes produisent moins d’aliments par hectare, mais plus de services écosystémiques. Cette approche nouvelle réduit le risque de négliger ce type de services fournis par l’élevage de ruminants d’une manière plus simple que par l’utilisation d’indicateurs séparés, tout en se pliant aux normes de l’indétrônable ACV. Elle offre des conclusions très différentes pour les décideurs sur les systèmes d’élevage à privilégier.

     

 

Interbev finance une étude de R&D menée par l’INRAE qui poursuit le même objectif, en comparant sur différents systèmes d’élevage une clé d’allocation entre services écosystémiques et production de viande, reposant sur les scores de services écosystémiques des surfaces allouées à l’alimentation des animaux pour chaque type de système. Les premiers résultats montrent de la même manière, qu’il est possible de nuancer l’impact environnemental des ruminants en intégrant leur contribution au maintien de services écosystémiques essentiels.

 

Référence : K von Greyerz, P Tidåker, JO Karlsson, E Roös. A large share of climate impacts of beef and dairy can be attributed to ecosystem services other than food production.  Journal of Environmental Management, 325 (2023).

Source : Journal of Environmental Management

[1] Mais une contribution néanmoins toute relative si l’on considère l’ensemble des secteurs, le secteur agricole arrivant loin derrière ceux de l’énergie, du transport et de l’industrie (Ministère de la Transition écologique).

[2] The Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services

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