Alimentation durable : intérêt de la viande de ruminants (Article d’analyse)

Les premiers résultats de l’étude prospective TYFA viennent d’être publiés. Objectif : interroger les modèles agricoles permettant d’atteindre une alimentation durable, préservant la biodiversité et luttant contre le changement climatique. La conclusion : une transformation radicale de notre système alimentaire, dont l’élevage, est plausible, sur le double plan agronomique et alimentaire.

Une alimentation durable ; la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles ; sans oublier la lutte contre le changement climatique : trois attentes sociales des Européens qui supposent une transition profonde de notre système agricole et alimentaire. Pour y répondre, un projet agroécologique fondé sur l’abandon des pesticides et des engrais de synthèse, et le redéploiement de prairies extensives et d’infrastructures paysagères est envisageable. Revers de la médaille : cette agriculture s’avère moins productive. Elle est donc souvent considérée comme incompatible avec la poursuite d’autres enjeux cruciaux : produire suffisamment pour l’Europe et le monde tout en développant les filières de la bioéconomie pour lutter contre le changement climatique. Ainsi, l’impératif d’une Europe agricole productive semble s’opposer à la préservation des ressources naturelles, des paysages et des espèces. Mais est-ce réellement le cas ?

Une étude prospective quantifiant le scénario agroécologique

Le projet TYFA – Ten Years For Agroecology in Europe – aborde ce dilemme apparent et explore la possibilité de généraliser l’agroécologie à l’échelle européenne. Sachant que ces 10 ans représentent le temps nécessaire à amorcer le mouvement qui permettrait de parvenir à une Europe agro-écologique en 2050. En pratique, un modèle quantitatif (TYFAm), mettant en relation systémique la production agricole, les modes de production et l’usage des terres, permet aux auteurs d’analyser rétrospectivement le fonctionnement du système alimentaire européen et de quantifier un scénario agroécologique à 2050 en testant les implications de différentes hypothèses. Ces hypothèses concernent chaque dimension du système agricole et alimentaire : la gestion de la fertilité, la production végétale, l’usage des terres, la production animale, les usages non alimentaires et le régime alimentaire des Européens. Et comme l’écrivent les auteurs, ces hypothèses sont « radicales » tant du côté de la production (autonomie protéique et abandon des importations de protéines végétales, arrêt des pesticides et de l’azote de synthèse, élevage extensif et herbager) que de la consommation.

Le scénario peut nourrir l’Europe

Premier enseignement de ce modèle : malgré une baisse des rendements liée au passage à l’agriculture biologique et à l’adoption généralisée de pratiques agroécologiques (scénario de – 30 % sur les produits végétaux et – 40 % sur les produits animaux), ce mode de production permet de répondre malgré tout aux besoins d’une population qui devrait compter 530 millions d’habitants en 2050. Et ce, avec un régime alimentaire :

  • de meilleure qualité environnementale (remplacement de pesticides par des auxiliaires naturels, etc.),
  • plus sain, car basé sur les recommandations nutritionnelles en vigueur (EFSA, OMS et PNNS),
  • et conservant des attributs culturels importants comme la consommation de produits animaux et de vin.

Au final, ce régime alimentaire est moins riche en produits animaux, mais ceux consommés sont de meilleure qualité. Il est également moins riche en sucres et comprend davantage de fruits et légumes de saison et de fibres.

La sécurité alimentaire serait également renforcée : la réduction de la consommation et de la production de produits animaux, notamment granivores, libère un surplus de céréales comparable, en volume, à la balance nette export-import de la dernière décennie (6 % de la production de l’UE). Autant de stock mobilisable en cas de crise alimentaire. En effet, en 2010, 58 % des céréales et 67 % des oléagineux disponibles (= production – exports + imports) ont été consacrés à l’alimentation animale. Une situation liée à une augmentation croissante de cette part depuis les années 1960.

Réduire le cheptel, valoriser les ruminants

L’une des marges de manœuvre principales utilisée dans TYFA consiste à limiter la compétition entre alimentation animale et humaine. Dans cette perspective, les ruminants présentent un intérêt fort par rapport aux monogastriques. D’où une double approche :

– la désintensification des élevages de ruminants qui conduit à une baisse du nombre d’animaux et permet de limiter le recours aux concentrés (céréales et protéagineux) tout en maintenant les prairies et en produisant des aliments riches en oméga 3 aux intérêts nutritionnels reconnus ;

– le cheptel de monogastriques (porc et volailles) jouent dans cette perspective le rôle de « variable d’ajustement » et se trouve réduit, avec en outre une productivité par animal diminuée, afin de limiter au maximum la compétition feed/food.

Différents systèmes herbivores sont envisagés, avec comme objectif commun de maximiser la valorisation des prairies extensives selon cette logique de non concurrence entre alimentation animale et alimentation humaine. L’efficience de ces systèmes est faible sur un plan purement énergétique (conversion de l’énergie solaire en biomasse végétale puis animale), mais elle devient élevée si on considère que les animaux valorisent ce que l’homme ne peut pas manger.

Au total, dans ce modèle, la production animale baisse d’environ 40 %, en tonnage et en calories, essentiellement du fait de la baisse de production de granivores (porcs en particulier), mais aussi de produits laitiers (- 31 % entre 2010 et 2050). Le maintien de la consommation de viande de bœuf résulte de l’extensification de la production laitière à l’herbe.

Azote : développer les zones mixtes

Autre axe d’analyse : les besoins en azote, pour lesquels le modèle reconnaît qu’il est difficile de conclure quant à la possibilité de se passer d’azote de synthèse. Un axe de travail est néanmoins avancé : le passage d’un raisonnement global sur l’azote à celui d’une fourniture d’azote effective pour les plantes impliquant de travailler à l’échelle des territoires. À cet égard, deux aspects sont essentiels : la contribution des légumineuses et les transferts d’azote via l’élevage. Or, pour permettre une meilleure contribution des fumiers à la fertilisation des cultures, une nouvelle répartition de l’élevage herbivore, permettant la présence de prairies permanentes et temporaires dans une majorité de systèmes agraires, doit être envisagée. Ainsi, la gestion de l’azote suppose un redéploiement des prairies dans les régions de cultures (Ile-de-France par exemple) et, par corrélation, une « déspécialisation » des régions herbagères comme le Massif central vers des systèmes mixtes. Et de citer l’exemple d’une alternative, encore présente dans les régions méditerranéennes, qui consiste en des transferts de fertilité par une transhumance dans des régions pourtant dominées par les cultures (par exemple Castille y Léon en Espagne).

A noter enfin : le scénario TYFA permettrait une réduction des gaz à effet de serre (GES) du secteur agricole de 40 % par rapport à 2010, une reconquête de la biodiversité et la conservation des ressources naturelles (vie biologique des sols, qualité de l’eau, recomplexification des chaînes trophiques).

Source : Iddri.

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