Quelles options pour le secteur de l’élevage dans les pays émergents et en développement à l’horizon 2030 ? (Article de synthèse)

Début 2019, le Forum économique mondial (WEF) a publié deux livres blancs rédigés par l’Oxford Martin School. Ces documents ont été rédigés dans le cadre du World Economic Forum’s Meat: the Future, une initiative du WEF lancée en janvier 2018 et dont l’objectif est d’aider à accélérer le programme de transition alimentaire. Tour d’horizon des différentes manières de satisfaire les besoins futurs en protéines dans les pays émergents et en développement, d’après le livre blanc consacré au secteur de l’élevage dans ces zones géographiques à l’horizon 2030.

Le constat est amer : 821 millions de personnes dans le monde sont déjà sous-alimentées et 151 millions d’enfants de moins de cinq ans ont un retard de croissance, par défaut de protéines et de micronutriments essentiels. Au contraire, dans les pays développés où les revenus augmentent, la sur-nutrition se développe parmi les plus aisés, entraînant ainsi un second fardeau qui s’ajoute à celui de la sous-nutrition. Ainsi, sur les 7,5 milliards d’individus présents dans le monde, 1/3 serait bien nourri, 1/3 serait en surpoids ou obèse et le dernier tiers serait malnutri par manque de nourriture et/ou d’accès aux bons nutriments. Face à ce constat, ce livre blanc rédigé par l’Oxford Martin School, de l’université d’Oxford, à la demande du Forum économique mondial (WEF), pose une question critique : peut-on réduire la surconsommation d’aliments du tiers des individus du monde au profit du tiers d’individus malnutris ? Et, sinon, de quelles autres alternatives pourraient s’emparer les économies émergentes ?

Analyse et projections de la demande en viande, en lait et en œufs

Si la demande en produits dérivés du bétail croît modestement dans les pays à revenus élevés, elle est en forte hausse en Afrique, où elle devrait atteindre 100 millions de tonnes métriques par an en 2030 (1), du fait de l’augmentation de la population. Par rapport à 2010, cela représenterait des productions supplémentaires de 125 % de bœuf, 60 % de volaille, 46 % de lait et 77 % d’œufs.

En Asie, les modèles mathématiques prévoient que la demande d’aliments dérivés du bétail atteindra plus de 600 millions de tonnes métriques par an d’ici 2030, du fait de l’augmentation des revenus, et qu’elle sera tournée vers la qualité.

En Inde, la croissance prévue devrait être plus lente (170 millions de tonnes métriques/an) selon les auteurs, et concentrée sur le lait.

La diversité des systèmes d’élevage comme garantie d’un développement durable

Pour répondre à la demande croissante des produits dérivés du bétail, les auteurs ont émis quatre options concernant la transformation des systèmes d’élevage dans les pays émergents et en développement, qui devraient, selon eux, coexister dans le futur, pour assurer un avenir sain et durable. Avant toute transformation, les auteurs invitent à s’interroger sur ce qui doit réellement être transformé. Et de souligner que le système le plus productif n’est pas nécessairement le plus rentable et le système le plus écologique peut être le moins vertueux en termes de bien-être des animaux. Les décideurs devront donc prioriser les investissements qui répondent à la demande spécifique de bétail, tout en poursuivant une croissance économique locale dans une démarche de développement durable.

Option 1 : Améliorer les systèmes de production de petites et moyennes tailles, basés sur l’élevage et la culture mixte, pour en faire des entreprises durables et rentables

Dans cette option, les auteurs prônent une augmentation de la productivité de moitié ou du tiers dans les secteurs en pleine croissance des pays émergents et en développement. Soutenue par leurs gouvernements respectifs, elle permettrait d’améliorer les conditions de subsistance de plusieurs centaines de millions de personnes qui dépendent de l’élevage, tout en évitant les problèmes environnementaux ou de santé et de bien-être animal qui prévalent dans les systèmes plus industriels.

Dans les systèmes de production agricole mixte, où l’élevage est étroitement intégré à la production agricole dans les terres arables, les auteurs prônent une intensification durable de l’élevage et de cultures mixtes via l’adoption de technologies à petite échelle, pour lisser efficacement les aliments saisonniers et éviter les pénuries de fourrage. L’utilisation de technologies permettrait en outre d’améliorer l’alimentation animale, les races et la santé, d’où une efficacité accrue de la production et de plus petites empreintes environnementales par unité de viande, lait ou œufs.

Et pour les quelques 200 millions d’éleveurs pastoraux, nomades ou semi-nomades, vivant dans des régions trop sèches pour la production agricole, les auteurs misent sur une réponse à la demande locale croissante pour la viande et le lait, qui permettrait d’améliorer leurs moyens de subsistance. Avec un soutien approprié (vaccination, augmentation des débouchés commerciaux…), les auteurs estiment que de nombreux éleveurs pourraient y arriver. Quant aux autres, ils devront bénéficier de davantage de soutien pour développer des moyens de subsistance en dehors de l’élevage et/ou réduire leur vulnérabilité, notamment face au choc climatique.

Option 2 : Développer des fermes d’élevage industrielles

Les systèmes de production à échelle industrielle pour l’élevage du bétail, communs dans les pays à revenu élevé, se multiplient désormais dans les économies en développement, constatent les auteurs du Livre Blanc. De tels systèmes présentent des avantages, parmi lesquels une moindre empreinte environnementale par unité de produit et une plus grande accessibilité des produits aux consommateurs. Les élevages industriels produisent moins d’émissions de GES et nécessitent moins de terre par unité de produit que les petites fermes d’élevage. Ils créent des marchés pour les intrants ainsi que des services pouvant bénéficier aux petits exploitants locaux voisins. Ils favorisent aussi la création d’emplois aux extrémités supérieure et inférieure du marché du travail. Cependant, leurs populations animales concentrées, bien qu’étroitement surveillées, présentent un risque accru de maladies, préviennent les auteurs. En outre, les déchets produits par les animaux ne sont pas utilisés pour fertiliser les champs et l’alimentation des animaux de ces systèmes industriels peut nécessiter le recours à des terres précédemment dédiées à des cultures destinées à l’alimentation humaine.

Option 3 : Importer plus de produits transformés dérivés du bétail

Les pays émergents ou en développement peuvent choisir d’accroître leurs importations en aliments dérivés du bétail en provenance des pays développés. Pour certains pays, en effet, le maintien de l’élevage peut ne pas être au centre de l’économie nationale ou des moyens de subsistance de la population pour des raisons économiques, écologiques, culturelles ou historiques. De plus, la production des aliments dérivés du bétail dans les économies développées émet moins de GES par unité de production que dans les économies en développement.

Ces importations en provenance de pays développés sont généralement des produits transformés de manière industrielle, avec un moindre besoin de réfrigération et une durée de vie plus longue. Relativement coûteuses, elles pourraient répondre à une demande de consommateurs de niche parmi les élites. D’autres importations, telles que le lait condensé, la viande en conserve, les coupes de viande de faible valeurs (queues de dinde, dos et pieds de poulets), guère demandées dans les économies développées, pourraient devenir accessibles aux consommateurs les plus pauvres des pays en développement.

Cependant, avec des accès accrus à des importations abordables, les moyens de subsistance et les revenus des éleveurs locaux pourraient en souffrir, préviennent les auteurs. Rappelant que l’Afrique importe actuellement 22 milliards de dollars de viande, 5 milliards de lait et plus de 200 millions de dollars d’œufs par an, les auteurs préconisent la mise en place de compromis de la part des gouvernements, afin que ne soient importés que des biens non disponibles localement, pour éviter la destruction d’emplois locaux. Les auteurs alertent en outre les lecteurs sur le coût environnemental d’une telle importation massive, ainsi que sur les éventuels problèmes de sécurité sanitaire qui pourraient en résulter.

Option 4 : Utiliser des formes alternatives de protéines

La plupart des économies à haut revenu explorent des sources alternatives de protéines. Celles-ci incluent des plantes, des algues, des insectes, ainsi que des aliments qui imitent l’apparence, la sensation et le goût de la viande, du lait et des œufs. Les auteurs de ce rapport estiment que ces innovations vont sans aucun doute générer des retombées pour les différents pays et sont susceptibles de contribuer à résoudre les besoins mondiaux en protéines (voir article « Trouver des synergies entre les sources de protéines plutôt que renoncer à la viande »). Les auteurs insistent notamment sur le co-design de solutions qui exploitent les technologies développées dans les économies à haut revenu et les adaptent avec un fort potentiel pour les pays émergents.

Faciliter la transformation du secteur de l’élevage à tous les niveaux

Ce livre blanc se concentre sur les pays émergents et en développement. Ses auteurs estiment que la transformation de systèmes d’élevage d’une grande diversité, avec des catalyseurs tels que des politiques d’activation ou de la technologie, créera des opportunités de croissance rapide de la demande en aliments dérivés du bétail. Et que cela se traduira par des progrès rapides en termes de développement durable et équitable.

Historiquement, l’amélioration des interactions entre les parties prenantes du secteur de l’élevage a permis des progrès durables dans toutes les chaînes de valeur, de la production à la commercialisation. Parmi les acteurs impliqués, les gouvernements se trouveront en première ligne et devront mettre en œuvre des politiques d’activation afin de soutenir une transformation équitable, abordable, sûre et durable du secteur. Il faudra également informer et soutenir les choix des consommateurs sur les aliments dérivés du bétail, en utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Enfin, les progrès évolutifs réalisés à ce jour dans la transition des systèmes d’élevage dans les économies émergentes passeront aussi par le développement et l’application de solutions techniques pour aider au développement d’une bioéconomie circulaire, c’est-à-dire limitant les déchets, réduisant les empreintes environnementales et la pollution émise, et maximisant le recyclage des nutriments.

Et les auteurs de conclure que la diversité des systèmes d’élevage ne doit pas être abordée comme un problème à résoudre mais comme une exigence pour répondre aux besoins croissants des sociétés en protéines. Ils présentent des options pour trouver une « troisième voie » pour élever et utiliser du bétail – une manière qui ne mime pas l’industrie des systèmes de production animale des pays à revenus élevés, ni les systèmes d’élevage de subsistance des pays en développement. Les solutions pour une transformation efficace, durable et équitable varieront selon les espèces élevées, les régions concernées et les ressources nécessaires. Mais dans tous les cas, des partenariats innovants impliquant divers acteurs publics et privés seront indispensables, de même que le développement de nouvelles solutions techniques.

(1)  Source : estimation de Enahoro, D. 2018 (non publié), qui a utilisé le Modèle international d’analyse des politiques de référence des produits de base et du commerce des produits agricoles.

Source : World Economic Forum.

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