L’élevage, un enjeu stratégique pour la bioéconomie (article de synthèse)

L’élevage consomme, transforme et fournit de grandes quantités de bioressources dans tous les territoires français. Un article paru dans la revue INRA Productions Animales explore le rôle primordial qu’il pourrait jouer dans la bioéconomie, c’est-à-dire l’économie fondée sur l’utilisation de biomasse.

« Le développement d’une économie durable fondée sur l’utilisation des bioressources, ou bioéconomie, permettrait de répondre aux enjeux de sécurité alimentaire, de changement climatique et de préservation des ressources naturelles », affirment Jean-Yves Dourmad, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et ses collaborateurs. La bioéconomie, telle que définie ci-dessus, partage en effet de nombreux concepts avec l’économie circulaire1 et l’écologie industrielle2, qui s’appuient sur une nouvelle vision des rapports entre les êtres vivants, les techniques, et la biosphère.

Dans ce cadre, les systèmes d’élevage, par les flux de bioressources auxquels ils participent, représentent un atout majeur pour la bioéconomie. À l’échelle de la planète, ils sont en effet les principaux utilisateurs de bioressources (113 millions de tonnes en 2015) et de surfaces agricoles dédiées à l’alimentation des animaux (55 %). Pour autant, les animaux (bovins, ovins et monogastriques) participent à hauteur de 60 % des apports protéiques, de 40 % des apports lipidiques et de 21 % des apports énergétiques totaux de l’Homme, et contribuent aussi grandement à la fertilisation des sols.

L’élevage et la fertilisation des sols

Dans les exploitations de polyculture-élevage, en l’absence de fertilisation minérale, l’apport de matières organiques issues de l’élevage représente le principal fertilisant. Selon Peyraud et al. (2012)3, leurs déjections constitueraient même la deuxième source d’azote en France avec 1,82 millions de tonnes/an, juste derrière les 2,11 millions de tonnes/an issues d’engrais. Bien qu’essentiel au maintien de la fertilité des sols, les auteurs soulignent cependant que cet azote est aussi à l’origine de pollutions diffuses.

En outre, si les systèmes de polyculture-élevage permettent des échanges entre les pôles végétal et animal, assurés par l’utilisation des cultures, par le pâturage et par le recyclage des déjections animales comme fertilisants, la spécialisation des exploitations et des territoires conduit au contraire à la dissociation de ces deux pôles. Les éleveurs font désormais souvent appel à des intrants (aliments concentrés), mais aussi à des médicaments, à des engrais, à des produits phytosanitaires et à de l’énergie.

Par ailleurs, seule une fraction de l’azote excrété serait réellement valorisable pour la fertilisation, compte tenu des émissions gazeuses dans le bâtiment, au stockage et à l’épandage.  La réduction des émissions gazeuses dans les différents systèmes d’élevage constitue donc un objectif prioritaire. Un mode de gestion des effluents associant collecte de lisier frais, couverture des fosses et injection de lisier serait celui qui permettrait le mieux de recycler de l’azote. Le traitement des effluents par méthanisation pourrait aussi constituer une voie intéressante car il contribue directement à la production d’énergie (biogaz, électricité, chaleur), sans affecter leur valeur fertilisante.

L’élevage et les bioressources nécessaires à l’alimentation animale

L’élevage participe par ailleurs aux flux des bioressources par l’alimentation consommée par les animaux. L’alimentation animale utilise trois fois plus de céréales que la consommation humaine, soit l’équivalent de 31 % de la production nationale, mais une partie correspond à des coproduits issus des bioindustries des oléagineux, de la sucrerie, de la brasserie et de l’industrie laitière. À l’échelle nationale, les ruminants sont les plus gros consommateurs de protéines. Ils consomment en effet 79 % des fourrages et plus de 27 % des concentrés (dont 16 % de tourteaux, 6 % de céréales, 4 % de co-produits et 1 % d’oléo-protéagineux).

Si l’on compare cette consommation à l’offre nationale de matières premières végétales disponible pour l’alimentation animale, la France est excédentaire pour les fourrages (104 % d’autonomie), pour les céréales (106 % d’autonomie) et pour les coproduits (119 % d’autonomie). Elle est au contraire déficitaire en tourteaux (21 % d’autonomie) et en oléo-protéagineux (72 % d’autonomie), ce qui implique le recours à l’importation de 45 % des protéines des aliments concentrés. En tenant compte de l’ensemble des protéines, et notamment des fourrages, le bilan semble beaucoup moins déficitaire, selon les auteurs, avec une autonomie protéique nationale de 81 % pour l’alimentation des animaux.

L’élevage et l’alimentation humaine

Enfin, considéré comme une bioactivité ou comme une bioindustrie, l’élevage permet aussi de transformer des bioressources végétales, consommables ou non par l’Homme, en aliments à très haute valeur nutritionnelle pour l’Homme, comme les protéines, les minéraux, les oligoéléments et les vitamines. Toutefois, seule une part des animaux et de leurs productions sont consommables par l’Homme.

Des leviers d’action pour développer la bioéconomie circulaire

Ainsi, à l’échelle nationale, l’élevage paraît efficace et relativement autonome, avec d’une part, une consommation importante de fourrages, de coproduits et de concentrés non valorisables par l’Homme, et d’autre part, la fourniture de biens et de services comme des produits animaux, à haute valeur nutritionnelle, et des effluents à fort potentiel fertilisant. Mais, à l’échelle des territoires, les situations sont très inégales, dépendant des densités animales et des systèmes de production. Pour remédier aux fortes disparités spatiales entre Petites Régions Agricoles françaises4, les auteurs suggèrent donc plusieurs stratégies de développement :

  • adapter le cheptel à la disponibilité locale de matières premières. Cette stratégie implique une relocalisation de l’élevage avec des conséquences en termes d’emploi.
  • adapter les rations en fonction de la disponibilité de matières premières végétales locales et nationales, en substituant les imports consommés par des matières premières locales.
  • favoriser les échanges d’aliments et d’effluents entre petites régions agricoles françaises ; ceci nécessite de développer des filières de gestion des effluents.

Les systèmes d’élevage représentent donc un levier majeur en matière de bioéconomie, et pourraient permettre, une fois optimisés, de mieux boucler les cycles de nutriments, d’économiser des intrants et de diminuer les pertes vers l’environnement, dans une perspective de développement économique durable.

Source : INRA Productions animales.

1 L’économie circulaire se définit comme un système économique d’échanges et de production qui vise à augmenter l’efficience de l’utilisation des ressources et à diminuer leur impact sur l’environnement, tout en assurant le bien-être des individus.

2 L’écologie industrielle vise à analyser les interactions entre société et l’environnement en se basant sur l’étude des flux de matières et d’énergie mobilisés.

3 Peyraud J.L., Cellier P., Donnars C., Réchauchère O., 2012. In Les flux d’azote liés aux élevages, réduire les pertes, rétablir les équilibres, Paris, France, 68p.

4 Jouven et al. (2018). Quels équilibres végétal/animal en France métropolitaine, aux échelles nationale et « petite région agricole » ? INRA Prod. Anim., 31, 353-364.

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