Comprendre les enjeux de la consommation de viande (Article d’analyse)

L’Inra a publié sur son site Web une série de six infographies pour comprendre les enjeux de la consommation de viande. Décryptage.

En janvier 2019, l’Inra publiait sur son site un dossier sur les bénéfices et les limites d’une diminution de la consommation de viande. Ce dossier riche de données chiffrées a été repris sur l’info-veille scientifique d’Interbev dans le cadre de deux articles : « Quels sont les bénéfices et les limites d’une diminution de la consommation de viande ? Avis scientifique de l’Inra » et « Faut-il réduire notre consommation de viande ? L’Inra livre des données pour comprendre ». Dernièrement, ce dossier a été complété par une série de six infographies afin d’aider à mieux comprendre les enjeux de la consommation de viande.

Apports nutritionnels des produits animaux

C’est un fait : les produits animaux représentent une source importante de protéines. Mais leur intérêt nutritionnel ne se limite pas à cet apport de protéines de bonne qualité : ils sont aussi d’importants pourvoyeurs de micronutriments (vitamines, fer, sélénium, etc.), dont les carences sont moins bien définies et connues. Pourtant, selon l’enquête CCAF 2013 (Credoc), en France, 25 % des adolescentes et femmes en âge de procréer ont des apports en fer inadéquats, dont 7 à 15 % présentent des critères avérés de carence en fer (deux paramètres sériques anormaux parmi les quatre définis).

L’infographie Qu’apportent les produits animaux ? met bien en lumière cette richesse nutritionnelle et rappelle que seuls les produits animaux apportent naturellement de la vitamine B12 sous une forme assimilable. L’intérêt est ensuite à nouveau porté sur les protéines, avec un rappel des apports nutritionnels conseillés (ANC), qui se situent entre 50 et 70 g/j/personne, selon le sexe, l’âge et le poids : 0,83 g/kg de poids/j pour les adultes et 1 g/kg de poids/j pour les personnes âgées. Cet ANC, qui sert de base de calcul dans cette infographie, représente l’apport minimum recommandé pour équilibrer le bilan azoté de l’organisme (synthèse versus dégradation des protéines). Mais, comme le précise l’Anses (voir aussi article « Synthèse du rapport de l’Afssa sur l’apport en protéines : consommation, qualité, besoins et recommandations »), « il est difficile, compte tenu de l’insuffisance de données disponibles, de définir une limite supérieure de sécurité pour l’apport protéique ». Et d’estimer néanmoins que, « dans l’état actuel des connaissances, des apports entre 0,83 et 2,2 g/kg/j de protéines peuvent être considérés comme satisfaisants pour un individu adulte de moins de 60 ans ».

Partant de cet ANC minimum, la représentation estime ensuite entre 175 et 245 g (210 g en moyenne), la quantité -minimale donc- de protéines animales qu’il serait conseillé de consommer par semaine pour un apport global d’environ 50 % de protéines d’origine animale et 50 % d’origine végétale. Notons que cette répartition entre protéines animales et végétales ne fait pas partie des dernières recommandations nutritionnelles officielles, qui stipulent en revanche de diversifier les sources protéiques (voir article  « Alimentation et activité physique : le point sur les nouvelles recommandations »).

Le régime alimentaire des Français à la loupe

La seconde infographie, intitulée Régime moyen d’un Français se base sur les données de l’étude Inca 3 pour évaluer l’adéquation d’apport en protéines (apport minimum conseillé qui peut être dépassé) entre les recommandations et l’alimentation des Français. Résultat : la consommation moyenne de produits animaux des Français est supérieure à leurs besoins nutritionnels. Et de rappeler les recommandations de Santé publique France de ne pas dépasser 500 g de viande rouge et 150 g de charcuteries par personne et par semaine. Le seuil pour la viande rouge est respecté, avec une consommation moyenne de 320 g/semaine.

Dans le texte accompagnant cette infographie, l’Inra mentionne qu’environ 28 % des Français dépassent toutefois cette limite de 500 g de viande rouge par semaine (20 % selon les chiffres CCAF 2016) et que ces grands consommateurs peuvent réduire leur consommation de viande rouge, sans risque pour leur santé. « En revanche, certains groupes de populations, notamment les personnes âgées, les enfants et les femmes en âge de procréer, ont des besoins spécifiques en protéines de haute qualité nutritionnelle et en micronutriments (minéraux et vitamines), présents dans les produits animaux et facilement assimilables par l’organisme », poursuivent les auteurs, soulignant ainsi les risques pouvant accompagner une réduction de la consommation de viande pour la santé de certaines sous-populations. Et d’ajouter : « De la même façon, l’exclusion totale des produits animaux du régime alimentaire (régime végétalien) demande une bonne expertise en nutrition pour équilibrer le régime  (voire le supplémenter*) et ne pas induire de déficiences d’apports et de carences en nutriments et micronutriments essentiels, qui peuvent être moins présents dans les produits végétaux et moins bien assimilés par l’organisme. »

Un régime sain et durable pour les Français

Dans une troisième infographie, Vers un régime français plus durable ?, les experts de l’Inra se sont demandés s’il était possible de rendre le régime alimentaire des Français plus durable, tout en répondant aux recommandations nutritionnelles, et ce, à un coût abordable. Une équation complexe à résoudre car l’analyse de la diversité des régimes français montre que tous les critères de durabilité ne sont pas forcément compatibles. Les chercheurs sont toutefois parvenus à identifier un régime réalisant ce compromis entre qualité nutritionnelle et impact moindre sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) (Masset et al., 2014). Celui-ci existe chez 20 % des Français et permet de réduire les émissions de GES associés à l’alimentation de 18 %, mais pour un apport énergétique moyen de 2 000 Kcal/j contre 2 200 kcal actuellement. Ses caractéristiques : une réduction des produits animaux, dont une diminution de la viande de ruminants (bœuf, veau, agneau) à 160 g/semaine en moyenne ; une augmentation des produits végétaux ; et une diminution des boissons sucrées et alcoolisées. Coût moyen : 6,2 euros/j, contre 6,7 euros actuellement. Notons cependant que la seule prise en compte des émissions de GES est loin de représenter l’ensemble des critères d’impact environnemental (négatifs mais aussi positifs) qu’englobe la notion de durabilité : dégradation des terres, acidification de l’air, eutrophisation marine, épuisement des énergies fossiles, maintien ou gain de biodiversité, fertilisation de sols, etc.

Dans une autre étude utilisant la modélisation, les scientifiques ont donc recherché un régime répondant à davantage de critères, tout en apportant un nombre de calories égal au régime moyen actuel (2 200 kcal/j), permettant de réduire de 30 % les émissions de GES, l’eutrophisation et l’acidification, et ne présentant pas de rupture majeure avec le régime moyen actuel (Barré et al., 2018). Les caractéristiques de ce régime ? Une réduction des produits animaux, dont une diminution de la viande de ruminants (bœuf, veau, agneau) à 80 g/semaine en moyenne ; une augmentation des produits végétaux ; et une diminution des boissons sucrées, alcoolisées et chaudes. Coût moyen : 6,4 euros/j. Notons que la quantité moyenne de viande rouge indiquée dans ce régime est bien inférieure au seuil des 500 g hebdomadaires des recommandations. Et pour cause : l’objectif de l’étude ayant permis l’identification de ce régime était d’évaluer jusqu’à quel point pouvait être réduite la consommation de viande de ruminants sans nuire à l’équilibre nutritionnel du régime, tout en intégrant la notion de biodisponibilité des nutriments (fer, zinc, protéines, provitamine A). Ces 80 g/semaine peuvent donc être interprétés comme un seuil minimal en dessous duquel le consommateur s’expose à un risque d’insuffisances d’apports en micronutriments. Il convient donc de regarder ces études sur la durabilité de l’alimentation avec beaucoup de précautions, afin de ne pas partir sur de fausses interprétations (voir dossier « Régimes alimentaires sains et durables », et notamment l’article « Régimes alimentaires durables : quelle place pour la viande rouge ? »).

Nourrir la planète en 2050

Dans une 4e infographie, intitulée Un scénario d’alimentation durable pour la planète, les chercheurs quittent les frontières de la France pour s’intéresser à la durabilité de l’alimentation au niveau mondial, avec une répartition plus équitable des ressources : en 2017, un Africain mange 6 à 10 fois moins de viande qu’un Occidental (Europe, Etats-Unis). Leur objectif : nourrir les 9,7 milliards de Terriens prévus en 2050 en rééquilibrant tous les régimes à 2 750 – 3 000 kcal/j/personne (pertes et gaspillages inclus), soit 1 850 – 2 000 kcal/j/personne d’aliments réellement consommés. Et ce, sans augmenter notablement les surfaces cultivées et en augmentant modérément (moins de 10 %) les surfaces pâturées au détriment de la forêt.

Leur conclusion : l’enjeu est réalisable, au regard des résultats de la prospective Agrimonde-Terra. Pour les pays occidentaux, cela signifie diminuer environ de moitié la consommation de viandes (en calories), avec une augmentation concomitante de la consommation de fruits et légumes et de féculents (céréales, légumes secs, pommes de terre). A l’inverse, ce scénario prévoit une augmentation de la consommation de viandes dans certaines zones géographiques. Et l’Inra de publier trois exemples d’évolution des régimes selon ce scénario (Europe, Afrique de l’Ouest et Inde) avec, in fine, des régimes différents selon les régions du monde afin de tenir compte des habitudes alimentaires locales. A noter toutefois que, dans cette prospective et donc l’infographie qui en découle, les scénarios ont été évalués selon des critères de durabilité limités (émissions de GES principalement), donnant matière à débats sur les impacts environnementaux réels de tels changements à l’échelle mondiale (voir articles « Un changement de cap pour une alimentation durable » et « Régimes alimentaires durables : quelle place pour la viande rouge ? »).

Elevage et occupation des terres

L’infographie Elevage et occupation des terres met en exergue deux constats qui battent en brèche l’idée reçue selon laquelle la réduction de la consommation de viande permettrait de libérer des terres cultivables. Premier constat : l’élevage occupe certes beaucoup de surfaces agricoles (environ 76 % des terres agricoles mondiales) mais il s’agit majoritairement (86 %) de terres non cultivables (prairies, montagnes, steppes, savane). Ainsi, seulement 4 % des terres agricoles cultivables sont dédiées à l’élevage.

Second constat : si tout le monde adoptait un régime végétalien, il faudrait plus de terres pour nourrir l’humanité, car les coproduits des cultures ne pourraient pas être valorisés par les animaux pour produire des protéines (viande, lait, œufs) consommables par l’homme. Autrement dit, il faut savoir trouver un juste milieu. Celui-ci a été chiffré dans le cadre d’une modélisation réalisée sur l’exemple des Pays-Bas (Van Kernebeek et al., 2016) : la surface cultivée nécessaire pour nourrir la population s’avère minimale pour 15 à 30 % de protéines d’origine animale dans le régime (en % des protéines totales), soit 9 à 20 g de protéines d’origine animale/j/personne. Et d’estimer à 20-25 % le niveau moyen de protéines d’origine animale à adopter dans nos régimes pour optimiser nos surfaces cultivées.

Compétition alimentaire entre hommes et animaux d’élevage

Le précédent constat mène à la sixième et dernière infographie : Elevage et compétition alimentaire avec l’Homme. Premier élément mis en avant : l’alimentation mondiale des animaux se compose à 80 % d’aliments non consommables par l’Homme (feuilles, herbe, résidus et coproduits de cultures (sons, tourteaux, etc.).

Puis l’infographie se penche sur les systèmes d’élevage producteurs nets de protéines, c’est-à-dire qui produisent plus de protéines (d’origine animale) consommables par l’homme qu’ils n’utilisent de protéines végétales consommables par l’homme pour nourrir les animaux. Parmi eux : les ruminants à l’herbe ou les élevages qui utilisent beaucoup de coproduits de l’agriculture. Les élevages de ruminants à l’herbe apportent également des services environnementaux, puisqu’ils « utilisent des surfaces en prairies impropres à la culture mais favorables à la biodiversité, à la filtration de l’eau et au stockage du carbone, commentent les chercheurs. [… Un] stockage de carbone par les prairies, difficile à mesurer, [qui] n‘est actuellement pas comptabilisé dans le bilan GES des élevages. Sans élevage, ces surfaces disparaîtraient et les paysages se fermeraient. » Et de conclure : « Ce sont ces élevages qu’il faut favoriser pour réduire la compétition alimentaire avec l’homme », soulignent les auteurs.

* Pour la vitamine B12, présente uniquement dans les tissus animaux, la supplémentation est indispensable pour éviter tout risque de carence. Pour d’autres micronutriments, tels que le fer et le zinc très peu biodisponibles dans les aliments végétaux, une supplémentation est également conseillée, notamment chez les sujets à haut risque de déficits d’apports (femmes enceintes, enfants, adolescents et personnes âgées).

Source : Inra.

 

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