Le CIRC publie sa monographie sur les viandes rouges et transformées

Deux ans et demi après la diffusion de ses conclusions concernant le risque de cancers associé à la consommation de viandes rouges et transformées, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) publie sa monographie complète. Décryptage.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a publié fin mars 2018 son rapport complet sur la cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée. Pour rappel, les conclusions de ce rapport, catégorisant les viandes rouges « comme probablement cancérogènes » et les viandes transformées comme « cancérogènes pour l’Homme », avaient été diffusées en octobre 2015, non sans créer quelques anxiétés auprès du grand public.

Les conclusions du CIRC sur les liens entre viandes et cancers

In fine, les conclusions de cette monographie rejoignent celles du World Cancer Research Fund (WCRF), qu’il s’agisse de viandes rouges ou transformées (voir article Viande et cancer : les conclusions du dernier rapport du WCRF). Première conclusion : « Selon des indications limitées, les viandes rouges (viandes de bœuf, veau, agneau ou mouton, chèvre, cheval et porc) sont probablement cancérogènes pour l’Homme ». Explications : le qualificatif de « probablement » indique l’absence de certitude quant au caractère cancérogène de consommations élevées de viandes rouges du fait d’indications, c’est à dire de preuves, limitées. En d’autres termes, des associations positives entre consommation élevée de viandes rouges et augmentation du risque de cancer (colorectal notamment) ont été observées dans les études épidémiologiques, mais d’autres facteurs pouvant expliquer ces observations n’ont pu être exclues (hasard, biais ou facteurs de confusion tels que d’autres composantes du régime alimentaire, le surpoids, le tabagisme, la consommation d’alcool, etc.). En revanche, ces associations sont soutenues par des indications d’ordre mécanistique issues d’études expérimentales, sur modèle animal notamment.

Seconde conclusion : « Les viandes transformées (charcuteries et autres viandes fumées, salées, en conserve) sont catégorisées comme cancérogènes pour l’Homme. » Cette conclusion s’appuie donc ici sur des éléments considérés comme convaincants. Le CIRC rappelle néanmoins que les niveaux de risque associés à une consommation de viandes transformées au niveau individuel restent très faibles.

Danger et risque : deux notions à comprendre et ne pas confondre

Comme précisé sur le site du CIRC, leurs monographies se bornent à examiner la force des données scientifiques sur les relations possibles entre un produit ou une molécule et l’apparition d’un cancer[1].

Il s’agit de l’analyse d’un danger de survenue de cancers potentiellement lié à des consommations élevées de viandes rouges et de viandes transformées. Mais cette analyse n’évalue pas le risque, ni en termes d’intensité (c’est-à-dire ici, selon les quantités de viandes consommées, la régularité de consommation, la qualité globale du régime…), ni en termes de hiérarchie par comparaison aux risques liés à d’autres facteurs (surpoids, tabac, alcool et autres). Un exemple souvent cité en la matière : traverser une route représente toujours un danger mais le niveau du risque n’est pas du tout le même si l’on traverse une petite route de campagne ou une autoroute.

Une dangerosité qui concerne surtout le cancer colorectal

Le rapport note des associations positives (mais toujours limitées) entre consommation de viandes rouges et risque de cancer de la prostate et du pancréas, ainsi qu’entre consommation de viandes transformées et risque de cancer de l’estomac. Mais pour ces deux catégories d’aliments, le risque majeur concerne essentiellement le cancer colorectal.

À la recherche des mécanismes sous-jacents

Pour expliquer ces associations observées chez l’Homme, les chercheurs utilisent le plus souvent des modèles animaux. Reste que, même chez l’animal, il s’avère difficile d’isoler l’effet d’un composant (par exemple les composés N-nitrosés) d’un aliment en particulier (en l’occurrence la viande), les chercheurs ne pouvant garantir que la consommation de cet aliment soit la seule source d’exposition à ce composant. La monographie caractérise néanmoins, avec un bon niveau de preuve, l’implication de plusieurs composants et leurs interactions, à savoir le fer héminique, les composés N-nitrosés (NOCs) et les amines aromatiques hétérocycliques (HAAs).

En effet, le fer héminique engendre un stress oxydatif au niveau intestinal avec pour conséquences la libération de produits nocifs dans l’appareil digestif, parmi lesquels des NOCs. Ces derniers peuvent aussi être formés à partir des nitrites alimentaires ajoutés pour la conservation des charcuteries. Quant aux HAAs, il s’agit de composés formés lors des cuissons drastiques des viandes, connus pour être génotoxiques, même s’il existe peu de preuves directes mettant en cause la consommation de viande et cette toxicité.

Ne pas se priver de viande pour autant

Le CIRC ne préconise pas de supprimer la viande. Comme le WCRF, il rappelle au contraire, que la consommation de viande présente des bénéfices reconnus pour la santé et contient plusieurs nutriments essentiels (protéines de haute valeur biologique, vitamines du groupe B, zinc et un fer de bonne biodisponibilité). Ainsi, les nutritionnistes interrogés suite à l’inquiétude suscitée par la publication des conclusions du CIRC en 2015 ont tous précisé que la relation entre les consommations alimentaires et la santé ou le risque de maladies relève davantage de l’équilibre alimentaire global que d’un aliment isolé. Une consommation raisonnable de viande rouge présente donc un réel intérêt nutritionnel et s’inscrit parfaitement dans un mode de vie sain associant une activité physique régulière et une alimentation équilibrée, intégrant des féculents complets, des légumes et d’autres aliments riches en fibres, ainsi que des aliments sources de calcium.

Source : Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).

[1] Cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée. Organisation Mondiale de la Santé. En ligne (page consultée le 01 mars 2018).

Qu’entend-on par viandes rouges et viandes transformées ?

En France, les viandes rouges recouvrent les viandes de bœuf, d’agneau et de cheval ; le porc, le veau et la volaille étant qualifiées de viandes blanches. Or, dans les études anglo-saxonnes, le porc ainsi que certaines charcuteries sont inclus dans la qualification de « red meat ». De plus, les pays anglo-saxons consomment traditionnellement des viandes transformées (salaisons, viandes séchées, en conserve…) en plus de ce qui correspond, en France, aux charcuteries (saucisses, bacon…). Tous ces produits sont regroupés dans les études sous l’appellation « processed meat », qui n’a pas vraiment d’équivalent en France. Ainsi, ce qui s’apparente au terme « red meat » utilisé dans les rapports internationaux tels que la monographie du CIRC correspond à ce que nous appelons en France les viandes de boucherie ou encore aux « viandes hors volaille ».

 

 

Article 57/59 du dossier "Viande, alimentation et cancer"

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