Alimentation et risque pour la santé : les insuffisances en certains aliments globalement plus délétères que les excès (Article d’analyse)

Le 3 avril 2019, une étude du Global Burden of Disease (GBD), parue dans The Lancet, a fait la Une de nombreux média : un décès sur cinq dans le monde serait dû à une alimentation déséquilibrée. Le chiffre, marquant, ne doit pas occulter les résultats plus spécifiques livrés par ce travail inédit et colossal : d’une part, le fort impact santé d’un trio de facteurs alimentaires (excès de sel, déficit de céréales complètes et fruits) et, d‘autre part, les risques supérieurs liés à des consommations insuffisantes de certaines catégories d’aliments comparativement aux excès d’aliments hâtivement jugés à risque pour la santé.

Il est bien établi qu’un régime alimentaire déséquilibré constitue un des facteurs de risque évitables en matière de maladies non transmissibles (obésité, diabète, maladies cardiovasculaire, cancers). Mais quels sont les aliments et nutriments qui auraient les répercussions les plus fortes sur le risque de survenue de ces maladies et le risque de mortalité qui en résulte ? Afin de répondre à cette question complexe, un réseau de 130 chercheurs s’est constitué au niveau international : le GBD pour Global Burden of Disease (Fardeau Mondial des Maladies).

Des données issues de 195 pays

Le 3 avril 2019, la revue The Lancet publiait les résultats de leurs investigations au travers d’un article analysant les données collectées au sein de 195 pays entre 1990 et 2017. A noter que ces analyses portent sur les relations estimées statistiquement entre certains apports en aliments/nutriments et les risques de maladies chroniques non transmissibles, et non sur les risques de mortalité liés à la sous-nutrition qui restent importants dans certaines régions du monde.

Dans un premier temps, les chercheurs ont sélectionné les études épidémiologiques d’observation sur les consommations alimentaires pour ces différents pays, et complété ces données avec des résultats d’enquêtes sur les dépenses des ménages, les chiffres de vente des denrées alimentaires, ainsi que des données de la FAO.

Il leur a ensuite fallu sélectionner les composantes alimentaires susceptibles d’influer sur le risque, qu’il s’agisse d’aliments (céréales, fruits, viande rouge…) ou de nutriments (sodium, calcium, acides gras trans…) des régimes. Pour être sélectionné, un facteur de risque (ou composante) alimentaire devait répondre aux critères de sélection fixés par les chercheurs à savoir : son importance présumée selon les études épidémiologiques en termes de santé publique ; la disponibilité de données suffisantes pour estimer l’exposition de la population à ce facteur ; la disponibilité de données permettant de quantifier l’ampleur de cette relation en fonction du degré d’exposition ; et la présence d’éléments soutenant la possibilité de généraliser ces effets à toutes les populations.

Quinze composantes alimentaires jugées à risque retenues

Au total, quinze composantes ont été retenues : apports en fruits, légumes, céréales complètes, légumineuses, noix et graines, lait, boissons sucrées, viande rouge, viande transformée, fibres, calcium, sodium, acides gras oméga-3, acides gras polyinsaturés.

Après avoir estimé le risque relatif de mortalité et de morbidité pour chaque couple composante alimentaire-maladie, les chercheurs ont évalué ce qu’ils ont appelé le niveau d’apport optimal pour chacune des composantes, c’est à dire l’apport correspondant au niveau d’exposition minimisant le risque pour toutes les causes de décès.

Pour estimer cet apport optimal pour chaque composante alimentaire, ils ont d’abord calculé le niveau d’apport associé au risque de mortalité le plus faible pour chaque maladie, sur la base des études incluses dans les méta-analyses qu’ils avaient sélectionnées au préalable. Le chiffre retenu se base donc sur les résultats d’études prospectives observationnelles, avec toutes les limites que cela implique : représentativité de la population étudiée, qualité de l’évaluation des apports alimentaires (la plupart du temps en auto déclaration et sur un temps limité), absence de groupe contrôle dans la plupart des études transversales et de cohortes en nutrition, etc. Avec in fine, l’impossibilité d’en déduire une relation de cause à effet.

Ensuite, les membres du GBD ont pondéré ce chiffre au regard de la proportion globale de décès estimés comme attribuables à chaque maladie*. Ainsi, un régime alimentaire est considéré faible en fruits pour des apports moyens inférieurs à 250 g/j, pauvre en fibres pour moins de 24 g/j et riche en viande rouge pour des apports moyens supérieurs à 23 g/j (voir encadré).

Enfin, les chercheurs ont examiné les corrélations observées entre le niveau de consommation de chaque composante du régime et l’augmentation du risque de survenue d’une maladie chronique donnée ou de décès, afin d’estimer la part de maladies et de mortalité statistiquement attribuable à chaque composante, indépendamment des autres facteurs de risque.

Un seuil estimé pour la viande rouge bien inférieur aux recommandations françaises

Dans l’étude du Lancet, un régime alimentaire est considéré riche en viande rouge pour des apports supérieurs à l’apport optimal calculé, soit 23 g/j (160 g/semaine). Bien que supérieur à la recommandation parue récemment dans le rapport EAT-Lancet préconisant de ne pas consommer plus de 14 g de viande rouge par jour (voir article « Parution du rapport EAT-Lancet »), ce seuil paraît bien bas comparé aux 500 g de viande cuite/semaine donné par le World Cancer Research Fund (WCRF), dans son rapport de mai 2018 (voir article  « Viande et cancer : les conclusions du dernier rapport du WCRF »). A noter que les nouvelles recommandations françaises en matière de viande hors volaille et hors charcuterie font également état de 500 g maximum par semaine (70 g/j en moyenne). Cet écart se justifie par le caractère international de cette étude rendant difficile l’extrapolation de recommandations établies pour les populations de certains pays (Etats-Unis, Royaume, Uni, Pays-Bas, Hong-Kong et France en l’occurrence pour le WCRF) aux 195 pays étudiés ici.

La France, classée deuxième pour la qualité de son alimentation

D’après cette étude, même s’il existe de nombreuses différences selon les zones géographiques considérées, aucun pays dans le monde n’échappe aux répercussions d’une mauvaise alimentation.

Certains pays s’en sortent cependant mieux que d’autres. C’est notamment le cas de la France, qui se classe au deuxième rang des pays pour lesquels le taux de mortalité attribuable à l’alimentation est le plus faible, derrière l’Israël, et devant l’Espagne et le Japon.

D’une manière générale, du fait de l’impact très fort des déficits nutritionnels, les pays pauvres s’avèrent plus largement touchés par les conséquences d’une alimentation déséquilibrée que les pays riches sur les risques de maladies chroniques, fardeau auquel s’ajoutent dans ces pays les risques élevés de morbi-mortalité liés à la sous-nutrition.

Le sel dans le viseur

Les auteurs de cette étude pointent le fait qu’un petit nombre de facteurs alimentaires semblent avoir de très larges répercussions sur la santé. En effet, plus de la moitié des décès estimés associés à l’alimentation seraient attribuables à des apports trop élevés en sodium et à des apports insuffisants en fruits et en céréales complètes.

Les maladies cardiovasculaires représentaient en 2017 la principale cause de décès reliés à l’alimentation (10 millions de morts), suivies par le cancer (0,9 million) et le diabète de type 2 (0,3 million). L’excès de sodium, associé à l’élévation de la tension artérielle et donc au risque cardiovasculaire, se classe ainsi au premier rang des facteurs alimentaires les plus préjudiciables pour la santé, avec environ 3,2 millions de décès attribuables, ce qui confirme l’intérêt de continuer à cibler le sel dans les campagnes nutritionnelles.

« Nous nous attendions à une telle hiérarchie des risques, mais ce bilan permet de guider les actions de santé publique », confirme Mathilde Touvier, chercheuse à l’Inserm et membre du GBD, dans le cadre d’un article paru dans Le Monde.

Des consommations insuffisantes en certains aliments plus délétères que les excès

L’analyse de ces données met en exergue le poids considérable que pourraient avoir certaines composantes alimentaires sur le risque de morbi-mortalité. Mais pas forcément là où nous aurions pu les attendre… Plus que les aliments/nutriments dont les consommations excessives sont jugées mauvaises pour la santé, ce sont les apports insuffisants en certains aliments considérés comme « sains » qui se révèlent les plus délétères. Ainsi, en 2017, les composantes alimentaires considérées comme les plus délétères après l’excès de sodium étaient, par ordre décroissant d’importance : un régime faible en céréales complètes, faible en fruits, pauvre en noix et graines, faible en légumes, faible en oméga-3 et faible en fibres.

Résultat : au total, les statistiques estimeraient davantage de décès associés à un apport insuffisant en céréales complètes, fruits, noix et graines, que ceux potentiellement liés à une consommation trop élevée de boissons sucrées, d’aliments vecteurs d’acides gras trans, de viandes transformées et de viande rouge. C’est pourquoi les chercheurs retiennent de ce travail qu’en matière de politique de santé, mieux vaut promouvoir les aliments considérés comme sains et consommés de façon insuffisante, plutôt que de stigmatiser les autres aliments.

Un apport insuffisant en fruits estimé comme 100 fois plus dangereux pour la santé qu’un excès de viande rouge

Du côté de la viande rouge, la consommation mondiale estimée dans cette étude s’élève à 27 g/j en moyenne, soit 18 % de plus que l’apport optimal de 23 g/j pris en compte dans cette étude, ce qui reste dans l’intervalle d’incertitude retenu. Cependant, beaucoup de zones géographiques dépassent largement cet apport jugé optimal : Australie/Nouvelle-Zélande, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe de l’Ouest.

Malgré tout, sur les quinze composantes de l’alimentation retenues pour les potentiels effets délétères d’une consommation trop élevée ou insuffisante, le régime riche en viande rouge se classe en dernière position, avec un très faible niveau d’impact par rapport aux autres. Autrement dit, la consommation élevée de viande rouge serait la composante alimentaire la moins à risque pour la santé parmi celles retenues par le GBD. Parallèle intéressant : un régime trop  faible en fruits serait associé statistiquement à 100 fois plus de décès qu’un régime alimentaire trop riche en viande rouge !

A ce propos, le nombre de décès statistiquement attribuables à un régime riche en viande transformée (charcuteries) serait, selon cette étude, cinq fois plus élevé que celui associée à une consommation excessive de viande rouge, ce qui confirme la nécessité de bien distinguer ces deux catégories d’aliments lors des études épidémiologiques et de consommation.

* Cette pondération n’est pas clairement explicitée dans l’étude, même si une annexe donne de nombreux détails sur les méthodes statistiques utilisées. A noter également que : 1) Afin de refléter l’incertitude de leurs résultats, les chercheurs en ont déduit un intervalle de +/- 20 % de l’apport optimal moyen ; 2) Cet intervalle n’est cependant pas pris en compte dans la présentation de leurs résultats ; 3) Pour le sodium, les auteurs reconnaissent le manque de preuves fiables à l’appui du choix du niveau d’apport optimal choisi.

Référence : GBD 2017 Diet Collaborators. Health effects of dietary risks in 195 countries, 1990-2017: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017. Lancet. 2019 Apr 3. pii: S0140-6736(19)30041-8. doi: 10.1016/S0140-6736(19)30041-8.

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