Rapport du GIEC sur les terres émergées : un appel aux décideurs pour une action rapide (Article d’analyse)

La parution début août du rapport spécial du GIEC sur le changement climatique et les terres émergées se veut positif : certes les terres émergées sont soumises à la pression de l’Homme et du changement climatique, mais cette ressource fondamentale peut aussi être un élément de la solution…

Le 8 août 2019, le GIEC, organisme mondial chargé de faire le point des connaissances scientifiques sur les changements climatiques, a publié son rapport spécial sur « le changement climatique, la désertification, la dégradation des terres, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire, et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres », le deuxième d’une série de trois rapports[1] commandés suite à l’Accord de Paris.

7 chapitres, 1 542 pages

Le rapport, qui compte 1 542 pages, est divisé en sept chapitres :

  • Cadrage et contexte ;
  • Interactions terre-climat ;
  • Désertification ;
  • Dégradation des terres ;
  • Sécurité alimentaire ;
  • Liens entre la désertification, la dégradation des sols, la sécurité alimentaire et les flux de GES : synergies, compromis et options de réponse intégrée ;
  • Gestion des risques et prise de décision en relation avec le développement durable.

Afin d’en faciliter la lecture, un résumé d’une petite cinquantaine de pages destiné aux décideurs a été prévu. Celui-ci liste les idées majeures et renvoie aux chapitres du rapport complet qui ont permis aux experts de parvenir aux conclusions posées et à l’évaluation de leur force statistique.

Des connaissances méthodiquement évaluées

L’une des forces de ce rapport est non seulement d’égrener des faits et chiffres, mais aussi d’en pondérer la probabilité. Et ainsi de couper court à certains débats alimentés par une poignée de climatosceptiques. Par exemple, « depuis la période préindustrielle (1850-1900), la température de l’air à la surface de la terre a augmenté près de deux fois plus que la température moyenne mondiale (confiance élevée) » : « de 1850-1900 à 2006-2015, la température moyenne des continents a augmenté de 1,53°C (très probablement de 1,38 à 1,68°C), tandis que la température globale des terres et océans a augmenté de 0,87°C (plage probable de 0,75 à 0,99°C) ».

Le rôle important des terres émergées dans le système climatique est rappelé : « Les activités d’agriculture, de foresterie et d’utilisation des terres ont représenté environ 13 % des émissions de CO2, 44 % du méthane (CH4) et 82 % des émissions d’oxyde nitreux (N2O) résultant des activités humaines entre 2007 et 2016, représentant 23 % des émissions anthropiques nettes totales de GES (degré de confiance moyen). » Mais, le rapport rappelle que parallèlement, les processus terrestres naturels absorbent une quantité de dioxyde de carbone équivalant presque au tiers des émissions dues aux combustibles fossiles et à l’industrie.

Aussi, une gestion durable des sols aiderait à faire face aux changements climatiques. À l’inverse, une dégradation des sols les rendrait moins cultivables et donc moins aptes à absorber le carbone, exacerbant le changement climatique, et donc la dégradation des sols, etc.

Des conséquences mesurées via différents scénarios chiffrés

Le rapport évalue également les conséquences des différents scénarios d’augmentation de la température (1,5°C, 2°C, 3°C) pour les populations. Par exemple, « dans les zones arides, le changement climatique et la désertification devraient entraîner une réduction de la productivité des cultures et du bétail (confiance élevée), modifier l’équilibre des espèces végétales et réduire la biodiversité (confiance moyenne). Si l’évolution socio-économique se poursuit, la population des zones arides vulnérables au stress hydrique, l’intensité de la sécheresse et la dégradation de l’habitat devraient toucher 178 millions de personnes d’ici 2050 avec un réchauffement de 1,5°C, 220 millions de personnes à un réchauffement de 2°C et 277 millions de personnes à un réchauffement de 3°C (confiance faible) ».

Il semble désormais acquis que même un réchauffement planétaire limité à environ 1,5°C entraînera une augmentation des risques liés aux pénuries d’eau dans les zones arides, aux dommages causés par les incendies, à la fonte du pergélisol et à l’instabilité du système alimentaire. Si le réchauffement climatique atteint 2°C, les risques liés à la fonte du pergélisol et à l’instabilité du système alimentaire seront très élevés.

Des sols à la sécurité alimentaire

La sécurité alimentaire sera de plus en plus compromise par le changement climatique à venir en raison de la baisse des rendements, en particulier dans les régions tropicales, de l’augmentation des prix, de la réduction de la qualité des nutriments et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, et ce, de manière nettement plus marquée dans les pays à faible revenu. Outre la réduction des pertes et gaspillages, l’orientation des choix vers des produits moins gourmands en terre ou en eau, ainsi que la question de l’équilibre des régimes sont abordées : « Les régimes alimentaires équilibrés riches en aliments d’origine végétale tels que les céréales secondaires, les légumineuses, les fruits et les légumes, et les aliments d’origine animale produits de façon durable dans des systèmes à faibles émissions de gaz à effet de serre offrent de bonnes possibilités d’adaptation aux changements climatiques et de limitation de ces changements », indique Debra Roberts, coprésidente d’un des groupes de travail du GIEC.

Quelles solutions ?

Face au constat dressé, le rapport se penche sur les possibilités d’adaptation et d’atténuation :

  • protéger les forêts, les sols et les ressources en eau,
  • renforcer les puits de carbone par une gestion durable des terres,
  • maîtriser la croissance de la demande alimentaire en réduisant les pertes et gaspillages et en adoptant des régimes alimentaires sains et durables.

Une partie de ces options passe par le système alimentaire, du champ à l’assiette. Pour le cas particulier du bétail, le rapport liste quelques solutions, parmi lesquelles une meilleure gestion des terres de pâturage et du fumier, une alimentation de meilleure qualité et une utilisation de races adaptées. « Différents systèmes agricoles et pastoraux peuvent permettre de réduire l’intensité des émissions des produits de l’élevage. En fonction des systèmes agricoles et pastoraux et de leur niveau de développement, les réductions de l’intensité des émissions des produits de l’élevage peuvent conduire à des réductions des émissions de GES (confiance moyenne). De nombreuses options liées au bétail peuvent améliorer la capacité d’adaptation des communautés rurales, en particulier des petits exploitants et des pasteurs. Des synergies importantes existent entre l’adaptation et l’atténuation, par exemple à travers le développement durable (confiance élevée). »

Agir, maintenant

Côté calendrier, les experts attendent des actions rapides : « Des actions peuvent être entreprises à court terme, sur la base des connaissances existantes, pour traiter la désertification, la dégradation des terres et la sécurité alimentaire tout en soutenant des réponses à plus long terme qui permettent l’adaptation et l’atténuation du changement climatique. » Et mettent en garde les décideurs : « Retarder l’atténuation du climat et des réponses d’adaptation dans tous les secteurs entraîneraient des impacts de plus en plus négatifs sur la terre et réduirait les perspectives de développement durable (confiance moyenne). »

En savoir plus sur les niveaux de confiance

Un niveau de confiance élevé signifie qu’il y a un niveau élevé d’accord et de preuves dans la littérature scientifique pour appuyer la catégorisation en tant que magnitude élevée, moyenne ou faible. Un niveau de confiance moyen reflète des preuves moyennement nombreuses et un degré d’accord moyen sur l’ampleur de la réponse. Un niveau de confiance faible indique que la catégorisation est basée sur un petit nombre d’études.

 

Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire

(Morceaux choisis extraits du discours prononcé lors de la Journée thématique consacrée au rapport spécial du GIEC sur le changement climatique, l’utilisation des terres et la sécurité alimentaire – AgroParisTech, Paris – Jeudi 12 septembre 2019)

“Un rapport du GIEC, c’est toujours un évènement qui fait date. Celui-ci ne déroge pas à la règle. 107 experts de 52 pays et un constat, implacable : nous épuisons les terres.
Partout dans le monde, cette surexploitation menace notre sécurité alimentaire ; elle détruit la biodiversité ; elle contribue aux émissions de gaz à effet de serre ; elle diminue la capacité des sols à stocker le carbone. Nous le savions. Mais l’ampleur de la preuve scientifique fournie le 8 août dernier est sans appel et exige une réponse à la hauteur.
Le développement de nos sociétés se nourrit depuis trop longtemps d’étalement, de consommation croissante, de surexploitation, de déforestation. Cette logique ne peut plus durer. Il faut donc changer et repenser l’usage des terres.
Nous ne relèverons ce défi qu’en transformant durablement nos modèles de production, de consommation, d’aménagement et d’urbanisation.
Nous sommes engagés sur la voie du « zéro artificialisation nette ». Nous devons nous fixer deux objectifs. D’abord, ne plus artificialiser : cela suppose un développement de nos territoires plus sobre en consommation d’espaces.Ensuite, renaturer : c’est-à-dire réhabiliter les friches, désimperméabiliser les sols, et ramener la nature en ville.
Protéger les terres, c’est aussi protéger nos espaces naturels remarquables. Le Président de la République a pris un engagement clair : d’ici 2022, 30 % du territoire devront être sous statut d’aire protégée, dont 1/3 sous protection forte.
Protéger les terres, c’est enfin et surtout engager pleinement l’agriculture dans la transition écologique. L’agriculture est concernée à plusieurs titres. Elle est à l’origine de plus de 20 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Les agriculteurs sont aussi parmi les plus exposés aux effets du changement climatique : sécheresse, inondations, grêle et nouvelles espèces invasives menacent l’avenir de certaines cultures. Mais l’agriculture est aussi en mesure d’apporter des solutions, notamment via le stockage du carbone dans les sols. En un mot, elle porte une part du problème, de ses conséquences, mais aussi de la réponse au défi climatique.
Avec Didier Guillaume, nous avons défini des objectifs clairs.
En matière de gestion de l’eau d’abord. Dans chaque région, nous mettons en place des projets de territoire pour la gestion de l’eau. Avant de poser la question de l’opportunité de nouvelles retenues, ils permettent de questionner les pratiques actuelles et d’identifier les évolutions possibles vers des cultures moins dépendantes de l’irrigation.
En matière d’utilisation des pesticides : nous nous sommes fixés l’objectif ambitieux de réduire de 50 % l’usage de produits phytosanitaires d’ici 2025. Des solutions existent, comme en témoigne le réseau des fermes d’expérimentation DEPHY. La création d’un conseil indépendant obligatoire pour les agriculteurs à compter de 2021 doit permettre de mieux faire connaître ces alternatives et d’accompagner les agriculteurs dans la transition.
En matière de stockage du carbone dans les sols : l’agriculture constitue une des solutions pour capturer une part des émissions de carbone, et ainsi atteindre l’objectif de neutralité en 2050 que nous venons d’inscrire dans la loi énergie-climat. Le label bas-carbone constitue l’un des outils pour cela et intègrera prochainement des pratiques d’élevage et de grandes cultures.
Ces changements de pratiques nécessitent bien sûr d’être accompagnés et c’est pourquoi je souhaite que la nouvelle Politique agricole commune post-2020 permette de mieux rémunérer les pratiques agricoles durables.
Mais la transition agricole va au-delà. Elle questionne plus globalement le rapport de notre société à l’alimentation. Nos concitoyens sont de plus en plus attentifs et même exigeants sur la qualité et la façon dont sont produits leurs aliments.
Grâce à la loi agriculture et alimentation, le Gouvernement s’est donné les moyens de conduire cette transformation systémique. En garantissant une juste rémunération des agriculteurs, car la bonne valorisation économique des pratiques vertueuses pour l’environnement est indispensable pour une transformation durable et massive. En faisant évoluer nos régimes alimentaires, par exemple en expérimentant les menus végétariens dans les cantines scolaires. En réduisant le gaspillage. Aujourd’hui, un tiers de nos aliments sont jetés. Grâce à la loi EGALIM, nous étendons à la restauration collective et à l’industrie agroalimentaire l’obligation de proposer les invendus au don. En développant une agriculture de qualité et de proximité. D’ici 2022, la restauration collective publique devra s’approvisionner à hauteur de 50 % minimum en produits durables ou de qualité, dont 20 % de bio.”

[1] l’UNF3C (United Nations Framework Convention on Climate Change, cadre global intergouvernemental) a commandité au GIEC trois rapports spéciaux : le premier sur les implications de la limitation du réchauffement à 1,5°C ; le deuxième consacré aux terres émergées, paru début août 2019 ; et un troisième, prévu pour la rentrée 2019, sur les océans et la cryosphère.

Source : IPCC

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